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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/796

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Le prix des grains soutenu à un taux constant, également éloigné de la cherté et de la non-valeur, excitera la culture, assurera le revenu des terres, procurera aux artisans des salaires toujours proportionnés à leurs besoins. Alors ou sera pleinement rassuré sur la crainte de la disette, et les vérités qui ne sont encore démontrées aujourd’hui que pour les personnes qui réfléchissent, seront senties par le peuple même et constatées par l’expérience universelle.

Voilà le but auquel il faut tendre, et qu’il faut hâter en combattant, dans ce premier moment, l’effet des anciens préjugés populaires, en les affaiblissant par la persuasion, et surtout en employant toute la force de l’administration et de la justice à protéger contre toute espèce d’attaque la liberté que les lois du prince ont garantie à tout homme qui entreprend le commerce des grains.

Il ne faut pas se le dissimuler, dans quelques provinces, et en particulier dans celle-ci, les circonstances n’ont pas été aussi favorables qu’il eût été à souhaiter pour accoutumer le peuple à cette liberté, que les fausses mesures de la police l’ont autorisé si longtemps à craindre. Avant que le commerce des grains ait pu se monter, avant que les négociants aient pu étendre leurs correspondances, et qu’ils aient pu se former un assez grand nombre de magasins, il est survenu dès la première année une mauvaise récolte qui a fait monter les grains à un prix au-dessus du prix ordinaire. C’est un malheur inévitable ; mais, bien loin d’imaginer qu’on pût y remédier en abandonnant pour le moment les principes de la liberté, ce serait au contraire le moyen d’aigrir le mal en empêchant les grains de se porter dans les lieux où ils sont le plus chers, et où par conséquent le besoin est le plus urgent.

Les fausses idées qu’on avait autrefois sur le commerce des grains avaient donné naissance à une foule de précautions mal entendues, de règlements, de statuts de police, qui tendaient tous, sous prétexte de réprimer les prétendus monopoles, à gêner les marchands, à assurer dans les marchés la préférence aux bourgeois du lieu sur les habitants des lieux circonvoisins. Ainsi il a été défendu, jusqu’à une distance assez considérable des grandes villes, de vendre ailleurs que dans les marchés. Ces marchés étaient assujettis à des règlements par lesquels il n’était pas permis aux boulangers d’acheter avant une certaine heure, afin que le peuple eût le temps de se fournir. Les étrangers (car c’était le nom qu’on osait donner à des