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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/101

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Quoi qu’il en soit, malgré l’augmentation d’altération de ces grains, il était peut-être encore possible d’en tirer parti, soit en les faisant travailler dans des greniers pour bonifier les parties qui étaient moins altérées, soit en vendant pour d’autres usages ce qui ne se trouverait pas propre à la consommation des hommes. Vous savez que des grains, quoique fort altérés, peuvent encore s’employer dans différents arts, qu’ils peuvent servir à faire de l’amidon, à brasser des eaux-de-vie de grains, à tanner des cuirs, à décaper des fers destinés à l’étamage, etc., et que tous ces usages leur assurent encore une valeur assez forte, surtout dans les temps de cherté. Les juges de police d’Angoulême ne voulurent point entrer dans ces considérations, malgré le soin que je pris de les leur présenter dans mes lettres. Sur les premières nouvelles qu’ils eurent de l’altération d’une partie des grains du sieur Jauge, ils s’empressèrent d’en faire constater la mauvaise qualité par des procès-verbaux, et de commettre à la garde des magasins des huissiers, jusqu’à ce qu’il eût été statué définitivement sur le sort de ces grains. Le 20 août ils rendirent un jugement, par lequel il fut ordonné que ce grain serait brûlé. Le commissionnaire du sieur Jauge ayant interjeté appel de cette sentence, ils commirent à la garde de ces grains, jusqu’au jugement de l’appel, cinq huissiers à cent sous par jour, sans avoir égard à l’offre que faisait le commissionnaire du sieur Jauge de s’en rendre gardien volontaire.

Vous avez reconnu, monsieur, l’iniquité de cette sentence, et vous l’avez fait casser par l’arrêt du Conseil du 1er octobre 1770 ; vous avez ordonné, par cet arrêt, que les blés seraient restitués au commissionnaire du sieur Jauge, avec défenses de les vendre pour la consommation ordinaire, jusqu’à ce qu’il en eût été autrement ordonné.

Cet arrêt, monsieur, n’a pas à beaucoup près réparé le tort qu’avait fait à ces grains la conduite des juges d’Angoulême. Vous concevez que, depuis la fin de juin jusque vers le 15 octobre, tes grains entassés à Angoulême dans des chais à la garde des huissiers, sans qu’il fût libre au commissionnaire du sieur Jauge de les faire remuer et vanner, ont dû s’altérer de plus en plus et perdre encore beaucoup de leur valeur.

Enfin, l’arrêt du Conseil étant arrivé, et toutes les difficultés étant levées, les propriétaires ont eu la libre disposition de leurs