Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais un malheureux paysan, à qui on vient demander son cheval au moment où il en a besoin pour ses labours ou sa récolte, serait encore bien loin d’être dédommagé par le gain dont l’entrepreneur se contenterait. Or, le service des transports des troupes se fait en tous temps ; les saisons les plus précieuses pour le travail de la campagne ne sont pas exceptées.

C’est surtout dans les pays où l’on se sert de bœufs au lieu de chevaux pour les labours et les voitures que ces inconvénients se font sentir. Ces animaux sont bien plus faibles et surtout plus lents que les chevaux, et beaucoup plus sujets aux accidents inséparables d’une longue route. Ils ont quelquefois quinze lieues à faire, sans compter l’aller et le retour du lieu du départ, chez eux, qui vont souvent à trois ou quatre lieues. Pour peu que le temps soit mauvais, et que les bœufs soient surchargés ou maltraités, il est très-commun qu’on soit obligé de les laisser une ou deux semaines sur la litière : qu’un seul soit dans ce cas, l’attelage devient inutile. Il n’est pas rare d’en voir périr dans ces courses extraordinaires. Aussi, un très-grand nombre de propriétaires préféreraient de donner 15 à 20 fr. plutôt que d’être obligés de fournir une voiture à quatre bœufs. Il résulte de là que chacun cherche à se soustraire à cette corvée ; de là aussi les contraventions multipliées, le ralentissement, et quelquefois l’interruption du service, par la désobéissance des particuliers commandés. Les plus voisins du lieu du départ en sont punis avant ceux qui ont désobéi ; on est obligé de commander au hasard ceux qui se trouvent sous la main, et les officiers envoient ordinairement des soldats avec les syndics pour contraindre les bouviers à marcher, source intarissable de désordres et de vexations. On condamne les délinquants à l’amende ; nouvelle charge qui, quoique encourue volontairement, n’est pas moins ruineuse pour les cultivateurs. Ces amendes n’arrêtent point les contraventions, parce que, quoiqu’elles soient assez fortes, on aime autant en courir le risque que de s’exposer à ceux qui sont inséparables de la course des bœufs. Si les amendes étaient plus fortes, il ne serait pas possible de les faire payer.

À l’énormité du fardeau se joint un autre inconvénient, qui l’augmente encore : c’est l’impossibilité absolue de mettre quelque ordre dans les commandements. Quand il n’y aurait pas d’autre obstacle que l’incapacité des syndics de paroisses, il serait plus que suffisant.