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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/13

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Comme premier magistrat de la province, il organisait la bienfaisance ; comme citoyen, il en donnait l’exemple ; et, après avoir épuisé toutes ses ressources disponibles, il emprunta 20,000 francs pour les répandre en bienfaits parmi ses administrés.

À sa voix, les assemblées et les bureaux de charité se formèrent de toute part.

Dès la fin de l’année 1769, il avait obtenu du gouvernement des secours pécuniaires, avec lesquels il créait des travaux publics et préparait des approvisionnements à la population. Ses vives instances et son autorité morale déterminèrent le pouvoir à doubler ses secours, et ce fut par leur sage emploi, combiné avec celui des ressources locales, que la province échappa du moins aux horreurs de la famine.

Toutefois, l’égoïsme, resté sourd aux appels de la charité, rendait ces dernières ressources presque complètement illusoires. Turgot n’hésita pas à le combattre par des mesures coercitives, et rendit deux ordonnances, dont l’une enjoignait aux propriétaires de pourvoir à la subsistance de leurs colons, et l’autre prescrivait à chaque paroisse de nourrir ses pauvres jusqu’à la récolte prochaine.

Cette dureté de cœur, cette absence de sympathie pour les souffrances de la masse, s’étaient manifestées d’une manière plus odieuse encore dans la prétention qu’élevaient les seigneurs de se faire payer leurs redevances en grains, sur le pied de la valeur exorbitante[1] que la disette procurait à cette espèce de produits. Ici, la légalité couvrait une spéculation sur la misère générale, et un principe supérieur à la loi positive en repoussait l’accomplissement. Néanmoins, les exploits commençaient à pleuvoir dans les campagnes, et la ruine des censitaires paraissait d’autant plus imminente, qu’on agissait contre eux en vertu de titres qui, dans la plupart des communes, prononçaient la solidarité entre tous les redevables. Mais, heureusement pour les débiteurs, le Parlement de Bordeaux pensa que l’espèce entraînait l’application de cet adage du droit romain : summum jus, summa injuria, et il ramena la convention aux termes de l’équité. Dès lors, il ne restait plus à Turgot, dont l’opinion n’avait pas été sans influence indirecte sur cet arrêt, que d’en rendre les dispositions applicables à la partie de la province dépendant de la juridiction du Parlement de Paris. Cette mesure étant dans le

  1. Quadruple des années ordinaires.