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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/264

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motif qui avait déterminé M. Orry à préférer la corvée à l’imposition, et ce motif n’était autre que la crainte qu’une imposition ne fût détournée de son objet, et que les peuples ne supportassent à la fois l’imposition et la corvée. J’ai tâché de répondre à cette objection dans le préambule de l’édit, et je crois les précautions que je propose suffisantes pour rassurer. Je reviendrai peut-être sur cet objet en suivant les observations de M. le garde des sceaux.

Suite des observations du garde des sceaux. — Pourquoi donc ces deux administrateurs, aussi habiles qu’attachés au bien de l’État, ont-ils préféré la corvée de bras et de chevaux à l’imposition ? Ne pourrait-on pas dire qu’ils ont pensé que les travaux, assignés avec prudence aux temps de l’année où les habitants des campagnes sont le moins occupés à la culture de la terre, leur sont le moins onéreux ?

Que les travaux des chemins peuvent être solidement faits, quelques ouvriers que l’on y mette, pourvu que les ingénieurs, les sous-ingénieurs, les piqueurs, veillent avec attention à l’emploi des matériaux et à tous les détails contenus à ce sujet dans le préambule du projet.

Que si l’on est obligé d’employer un plus grand nombre de jours de corvée pour la confection d’une route neuve, son entretien, lorsqu’elle est une fois faite, n’en demande que très-peu chaque année, et par conséquent cesse d’être très-onéreux.

Que l’on peut adoucir beaucoup cette espèce de peine en réglant avec soin les tâches des différentes paroisses, en ne les faisant point trop fortes, et en s’appliquant à ne point les marquer dans des lieux trop éloignés. Ce sont des soins que MM. les intendants et les ingénieurs doivent se donner, et dont on s’aperçoit dans les généralités où cette portion de l’administration est confiée à des personnes actives, vigilantes et exactes.

Réponse de Turgot. — On essaye, dans les quatre alinéa que l’on vient de lire et dans les suivants, de faire entendre qu’il est absolument nécessaire de continuer les corvées, en évitant une partie des inconvénients de cette méthode, que j’ai développés dans le préambule.

Je réponds que quand il serait vrai que, avec une vigilance continue dans les chefs et dans les subalternes, on pût rendre la corvée supportable, ce sera toujours un très-mauvais système d’administration que celui qui exigera des administrateurs parfaits. Si l’administrateur est ou faible, ou négligent, ou trompé, qui est-ce qui souffre ? le peuple ; qui est-ce qui perd ? l’État. Tout plan compliqué ne peut être conduit qu’avec de grandes lumières et un grand travail ; donc tout plan compliqué sera généralement mal conduit. Tel est celui de la corvée.

Je répondrai en second lieu qu’à l’exception d’un petit nombre de