Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/275

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proportion. Tout est plus cher en France qu’en Pologne, tout est plus cher en Angleterre et en Hollande qu’en France. Si la France était, à proportion de son étendue, aussi riche que la Hollande, certainement le peuple serait en état de payer des impositions proportionnées à la dépense que nécessiterait cette augmentation de richesse, et personne n’aurait droit de s’en plaindre.

La politique d’un législateur doit prévoir ce cas, et si jamais l’ordre et la régularité du système de finance, qui doit être le but d’une administration éclairée, permettait au roi de fixer, par une loi invariable, la quotité de l’imposition proportionnellement aux facultés du peuple et aux dépenses nécessaires de l’État, il serait sage de régler aussi par la même loi l’augmentation de ces impositions, proportionnellement à l’accroissement de valeur des denrées. Nous sommes bien loin de croire cette époque prochaine, et il est fort inutile de s’en occuper ; il n’est pas vraisemblable que l’augmentation du prix des denrées, par l’effet de la beauté des chemins, soit assez rapide pour que nous n’ayons pas le temps de réfléchir aux moyens de parer à ce très-léger inconvénient.

Suite des observations du garde des sceaux. — J’ai de la peine à croire que les considérations très-bien traitées dans le préambule aient échappé aux lumières de M. Trudaine le père. Il n’ignorait pas qu’il faut détourner, le moins qu’il est possible, de leurs travaux ordinaires ceux qui n’ont que leurs bras pour subsister. Mais sans doute il voyait trop d’inconvénients à l’imposition sur les propriétaires pour la préférer. Il connaissait l’abus que le gouvernement a souvent fait d’impositions destinées aux besoins particuliers des villes et des provinces, en les faisant passer dans le trésor royal, et il ne voulait pas exposer à cet abus les deniers destinés à la confection des grandes routes. Il a été souvent obligé de défendre, contre les ministres qui ont administré les finances depuis la retraite de M. Orry, les deniers destinés aux ponts et chaussées, et peut-être n’a-t-il pas toujours réussi à les conserver en totalité.

Réponse de Turgot. — C’est ici la seule véritable objection contre l’opération. Je me suis tant étendu dans le préambule sur les précautions prises pour empêcher l’abus qu’on craint, et sur les motifs qui doivent le rendre vraiment impossible, que je crois superflu d’entrer ici dans des discussions nouvelles.

J’ajouterai cependant une réflexion, c’est que le danger de l’emploi des fonds à une autre destination, n’est point ici le véritable danger ; que ce danger est tout à fait nul, si la corvée n’est point rétablie. Je crois que la véritable barrière contre le rétablissement