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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/314

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public. C’est après un long intervalle de temps que l’autorité, tantôt surprise, tantôt séduite par une apparence d’utilité, leur a donné une sorte de sanction.

La source du mal est dans la faculté même accordée aux artisans d’un même métier, de s’assembler et de se réunir en un corps.

Il paraît que, lorsque les villes commencèrent à s’affranchir de la servitude féodale et à se former en communes, la facilité de classer les citoyens par le moyen de leur profession introduisit cet usage inconnu jusqu’alors. Les différentes professions devinrent ainsi comme autant de communautés particulières, dont la communauté générale était composée. Les confréries religieuses, en resserrant encore les liens qui unissaient entre elles les personnes d’une même profession, leur donnèrent des occasions plus fréquentes de s’assembler, et de s’occuper, dans ces assemblées, de l’intérêt commun des membres de la société particulière ; intérêt qu’elles poursuivirent avec une activité continue, au préjudice de ceux de la société générale.

Les communautés, une fois formées, rédigèrent des statuts, et, sous différents prétextes de bien public, les firent autoriser par la police.

La base de ces statuts est d’abord d’exclure du droit d’exercer le métier quiconque n’est pas membre de la communauté ; leur esprit général est de restreindre, le plus qu’il est possible, le nombre des maîtres, et de rendre l’acquisition de la maîtrise d’une difficulté presque insurmontable pour tout autre que pour les enfants des maîtres actuels. C’est à ce but que sont dirigés la multiplicité des frais et des formalités de réception, les difficultés des chefs-d’œuvre toujours jugés arbitrairement, surtout la cherté et la longueur inutile des apprentissages, et la servitude prolongée du compagnonnage : institutions qui ont encore l’objet de faire jouir les maîtres gratuitement, pendant plusieurs années, du travail des aspirants.

Les communautés s’occupèrent surtout d’écarter de leur territoire les marchandises et les ouvrages des forains : elles s’appuyèrent sur le prétendu avantage de bannir du commerce des marchandises qu’elles supposaient être mal fabriquées. Ce prétexte les conduisit à demander pour elles-mêmes des règlements d’un nouveau genre, tendant à prescrire la qualité des matières premières, leur emploi et leur fabrication : ces règlements, dont l’exécution fut confiée aux