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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/371

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ploient les mêmes moyens contre notre commerce ; que cette politique mercantile et jalouse nuit à tous les États, sans être utile à aucun ; qu’elle l’ait du commerce, qui devrait être le lien des nations, une nouvelle source de divisions et de guerres ; que l’intérêt de tous les peuples serait que le commerce fut partout libre et exempt de droits. Ils soutiennent que la première nation qui, donnant aux autres l’exemple de cette politique éclairée et humaine, affranchira ses productions, son industrie, son commerce, de toutes prohibitions et de tous droits, s’élèvera rapidement à la plus haute prospérité, et forcera bientôt les autres nations à l’imiter, au grand avantage de l’humanité entière.

Ce sont là, Sire, des questions dignes d’occuper Votre Majesté, puisque l’opinion qu’elle en prendra doit avoir la plus grande influence sur la prospérité de son royaume et le bonheur de ses peuples.

Quoi qu’il en soit, et quand on adopterait tous les principes par lesquels on prétend prouver l’utilité des droits imposés sur les marchandises transportées par le commerce, il est toujours évident qu’ils ne conduiraient qu’à établir des droits d’entrée et de sortie sur la frontière du royaume. Aucun motif, aucun prétexte ne peut conduire à faire payer des droits à une marchandise une fois entrée dans le royaume, et que le commerce fait passer d’une province à l’autre. Tout le monde convient que le commerce devrait à cet égard jouir d’une liberté entière. Mais il n’en est pas ainsi dans le fait. Quelque esprit qu’on ait mis à justifier les droits de traite par des vues politiques plus ou moins justes, il est très-certain que, dans l’origine, ils ont été partout établis comme moyens de finance. Ce moyen a été surtout mis en usage lorsque toute l’Europe était divisée en petites principautés dont les souverains mêmes n’avaient qu’une autorité médiate sur les peuples, qui n’obéissaient immédiatement qu’à leur seigneur. Tous les seigneurs puissants trouvaient plus facile de charger de droits les marchandises qui passaient par leur territoire, que de mettre sur leurs vassaux un impôt auquel ceux-ci auraient résisté beaucoup plus fortement. Les marchands qui payaient ces droits étaient regardés comme étrangers ; ils étaient isolés, sans protection ; et, dans l’ignorance générale qui régnait alors, le peuple s’imaginait gagner beaucoup en rejetant sur eux Bon fardeau. Les princes plus puissants, qui avaient dans leurs de-