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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/509

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quoique dans toutes les religions il y ait des hommes qui s’attachent moins à découvrir la vérité qu’à trouver des moyens d’étayer la doctrine qu’ils ont intérêt de maintenir, on ne peut cependant douter qu’un grand nombre de ces savants hommes ne soient très-sincèrement convaincus que la doctrine dont ils font profession est la seule véritable. Quel est celui des princes catholiques qui se croirait en état de les convaincre, de se défendre même contre leurs objections ? Sans doute les princes protestants ne seraient pas moins embarrassés, s’ils étaient obligés de disputer contre les plus savants docteurs catholiques. Les princes, dans quelque religion que ce soit, ne sont pas faits pour approfondir la théologie. Je ne me rappelle qu’un roi qui ait eu cette fantaisie, et c’était un protestant, Jacques Ier, roi d’Angleterre. Elle ne lui a pas réussi, et l’Europe a pensé qu’il eût mieux fait d’employer son temps à être un grand roi qu’un médiocre théologien. Trop de princes sont uniquement livrés au plaisir et à la dissipation. Ceux qui s’appliquent s’occupent des affaires de leur État, et font bien.

J’ose vous demander, sire, si parmi les princes des différents temps et des différents pays dont vous avez lu l’histoire, il y en a un seul que vous eussiez voulu prendre pour conseil sur le choix d’une religion ; et cependant presque tous ces princes se sont crus en droit d’ordonner de la religion de leurs sujets, de rendre des lois, de prononcer des peines, et de faire subir des supplices à des hommes qui n’avaient d’autre crime que d’avoir des opinions religieuses différentes des leurs, et de suivre les mouvements de leur conscience. Ce qui augmente encore l’étonnement, c’est que la plus grande partie de ces princes, en même temps qu’ils donnaient ces ordres, violaient en mille manières les préceptes de leur propre religion, et alliaient le scandale de la débauche avec la barbarie de la persécution. Louis XIV, qui cependant a mérité d’être estimé et même regardé comme un grand prince, parce qu’il avait de la probité, de l’honneur, un caractère un peu gâté peut-être, mais élevé et fortifié par un amour excessif de la gloire, mais surtout parce qu’il avait cette volonté ferme sans laquelle les rois ne peuvent ni faire le bien, ni empêcher le mal, Louis XIV savait très-peu de chose.

Il avouait avec candeur que son éducation avait été négligée. Il faisait cet aveu, et il osait juger de la religion de ses sujets ; il se