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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/515

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plir les uns envers les autres et envers la société, devoirs fondés sur les bienfaits qu’ils en ont reçus et qu’ils en reçoivent chaque jour. Mais les individus sont assez mal instruits de leurs devoirs dans la famille, et nullement de ceux qui les lient à l’État. — Les familles elles-mêmes savent à peine qu’elles tiennent à cet État, dont elles font partie : elles ignorent à quel titre. — Elles regardent l’exercice de l’autorité pour les contributions qui doivent servir au maintien de l’ordre public comme la loi du plus fort, à laquelle il n’y a d’autre raison de céder que l’impuissance d’y résister, et que l’on peut éluder quand on en trouve les moyens. De là chacun cherche à vous tromper et à rejeter les charges sociales sur ses voisins. Les revenus se cachent et ne peuvent plus se découvrir que très-imparfaitement, par une sorte d’inquisition dans laquelle on dirait que Votre Majesté est en guerre avec son peuple. Et dans cette espèce de guerre qui, ne fût-elle qu’apparente, serait toujours fâcheuse et funeste, personne n’a intérêt à favoriser le gouvernement ; celui qui le ferait serait vu de mauvais œil. Il n’y a point d’esprit public, parce qu’il n’y a point d’intérêt commun visible et connu. — Les villages et les villes, dont les membres sont ainsi désunis, n’ont pas plus de rapports entre eux dans les arrondissements auxquels ils sont attribués. Ils ne peuvent s’entendre pour aucun des travaux publics qui leur seraient nécessaires. — Les différentes divisions sont dans le même cas, et les provinces elles-mêmes s’y trouvent par rapport au royaume. — Quelques-unes de ces provinces ont cependant une espèce de constitution, des assemblées, une sorte de vœu public ; c’est ce qu’on appelle les pays d’États. Mais étant composés d’ordres dont les prétentions sont très-diverses et les intérêts très-séparés les uns des autres et de celui de la nation, ces États sont loin encore d’opérer tout le bien qui serait à désirer pour les provinces à l’administration desquelles ils ont part. C’est peut-être un mal que ces demi-biens locaux. Les provinces qui en jouissent sentent moins la nécessité de la réforme. La meilleure et la plus douce manière de les y conduire serait, pour Votre Majesté, la bonté avec laquelle elle donnerait, aux autres provinces qui n’ont point du tout de constitution, une constitution mieux organisée que celle dont s’enorgueillissent aujourd’hui les pays d’États. C’est par l’exemple qu’on peut leur faire désirer, sire, que votre pouvoir les autorise à changer ce qu’il y a de défectueux dans leur forme actuelle.