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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/526

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fonctions, que de voir le même homme avoir plusieurs seigneuries, et dans chacune d’elles agir, non pas en son propre et privé nom, mais comme le seigneur du lieu. Votre Majesté elle-même possède plusieurs États à des titres différents : elle est roi de Navarre, dauphin de Viennois, comte de Provence, etc. Il ne répugne donc pas de regarder un homme qui a deux parts de citoyen comme deux citoyens, et il peut aussi avoir plusieurs parts dans plusieurs paroisses, sans que celle de l’une lui donne ou lui ôte rien dans une autre. Le laisser jouir de cette prérogative, c’est ne lui laisser que ce que la nature de sa propriété lui attribue.

Cet arrangement serait utile, en ce que, mettant le plus souvent la pluralité des voix décisives du côté de ceux qui ont reçu le plus d’éducation, il rendrait les assemblées beaucoup plus raisonnables que si c’étaient les gens mal instruits et sans éducation qui prédominassent. — Les matières sur lesquelles les assemblées paroissiales auraient à délibérer, ne sont pas de celles où les riches peuvent être oppresseurs des pauvres ; ce sont au contraire de celles où les uns et les autres ont un intérêt commun. — Mais les plus grands avantages qui frapperont Votre Majesté dans l’arrangement qui distribuerait les voix de citoyen en raison de la fortune, sont, premièrement, celui de mettre aux prises, pour le bien du pays et de votre service, la vanité et l’ambition qui veulent jouer un personnage, avec l’avarice qui voudrait se refuser à l’impôt ; et, secondement, celui de donner, par la forme même de la distribution des voix, la meilleure règle possible de répartition et la moins sujette à querelles. — Les voix étant attribuées à une certaine somme de revenu, la réclamation de la voix ou de telle fraction de voix, ou de tant de voix, sera l’aveu ou la déclaration de tel revenu ; de sorte que les proportions des fortunes étant connues, la répartition de l’impôt se trouvera faite avec celle des voix, par les habitants eux-mêmes, sans aucune difficulté. Les particuliers qui voudront jouir de toute l’étendue de voix appartenante à leur propriété feront des déclarations fidèles. Ces déclarations étant faites devant la paroisse même, dont tous les membres savent et connaissent fort bien les terres les uns des autres et leur produit habituel, ne pourront être fautives. Si l’avarice portait quelqu’un à sacrifier de son rang, et à ne pas réclamer le nombre de voix qui lui appartiendrait, les autres citoyens de la paroisse, qui auraient un intérêt très-frappant à y prendre garde, puisqu’ils