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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/560

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toutes ses parties qui s’étayeraient mutuellement, paraîtrait avoir décuplé ses forces. Et, dans le fait, il les aurait beaucoup augmentées. Il s’embellirait chaque jour comme un fertile jardin. L’Europe vous regarderait avec admiration et avec respect, et votre peuple aimant, avec une adoration sentie[1].


  1. M. Turgot voulait avec raison corriger cette esquisse. — En appelant les propriétaires des terres à la participation qu’il leur croyait due, et qu’il jugeait utile au roi de leur accorder dans l’administration du pays, il aurait désiré que l’on joignît à cette constitution fondamentale des mesures qui donnassent une claire et complète garantie de la liberté des personnes, de celle du travail, de celle du commerce et de toutes les propriétés mobiliaires, aux natifs et aux habitants qui ne sont pas propriétaires de biens-fonds, mais dont le bonheur est le seul gage d’une active, d’une efficace concurrence pour l’exploitation du territoire, pour les fabriques, pour les manufactures, pour tous les moyens intérieurs et extérieurs de porter ce territoire à sa plus grande valeur. Il voulait procurer ainsi l’abondance, répandre la félicité sur toute la nation, assurer la paix par la raison, par la puissance, par la justice ; donner au chef de la société une autorité d’autant plus grande, que n’étant, ne pouvant être que bienfaisante, il n’y aurait jamais ni motif, ni intérêt de la contester.

    Il voulait conduire un plan si complet, si vaste, si sage, à toute la perfection dont son génie, son talent, ses lumières l’auraient trouvé et rendu susceptible ; et ensuite arrêter la rédaction de toutes les lois nécessaires pour son exécution, avant de le soumettre au monarque, et de l’exposer à la critique d’un premier ministre sur l’appui duquel il ne comptait déjà plus.

    Le temps lui parut trop court pour que ces grandes opérations pussent être entamées au 1er octobre 1775, comme l’aurait exigé le renouvellement de l’année financière. Il crut devoir les remettre à celui de 1776 ; se donner une année pour les mieux faire, et en remplir l’intervalle par des lois favorables à la classe laborieuse, à l’amélioration des travaux particuliers et publics.

    La pureté de ses intentions, l’évidente utilité de ses projets, son zèle, son courage, ne lui permettaient pas de croire qu’il serait disgracié dès le mois de mai de cette même année où il comptait fonder sur des bases solides la prospérité générale.

    Le bien qu’ont fait les assemblées provinciales, qui n’étaient cependant qu’un anneau détaché de la chaîne qu’il avait conçue, montre ce qu’elles auraient pu produire, si leurs inférieures et leur supérieure avaient existé.

    Que de maux eussent été prévenus !

    Ne blâmons pas un tel homme du retardement que sa prudence a jugé raisonnable.

    Plaignons la France d’avoir été victime de la légèreté, de la frivolité, de l’indifférence à tout bien qui caractérisaient M. de Maurepas, et de la jalousie qu’il y joignit.

    Déplorons la malheureuse modestie du bon Louis XVI, qui l’empêchait de croire à ses propres pensées, à la justesse de sa propre raison, et de tenir à ses propres affections, quand la majorité de ceux qui l’entouraient n’était pas de son avis.

    Il a longtemps défendu M. Turgot. Il l’a toujours aimé. Il l’a regretté vivement. (Note de Dupont de Nemours.).