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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/562

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colonies anglaises et, par une conséquence inévitable, une révolution totale dans les rapports de l’Europe avec l’Amérique. — Il ne peut y avoir de doute que sur l’événement du moment, et ce sont les dangers du moment qu’il faut peser.

Le Mémoire présente quatre suppositions, dont la disjonctive renferme en effet toutes les manières dont on peut prévoir l’issue de la guerre commencée en Amérique.

La première est celle d’une conciliation par laquelle le ministère anglais, sentant l’insuffisance de ses moyens, abandonnerait le projet d’imposer les colonies, et les remettrait dans le même état où elles étaient en 1763, avant qu’il fût question du farineux acte du timbre.

Il est probable que le nouveau ministère, dont ce changement serait l’ouvrage, chercherait à pallier aux yeux du roi et de la nation la honte d’un pareil traité, et à tirer parti des dépenses faites pour porter en Amérique des forces prodigieuses, en employant ces forces à des conquêtes brillantes et utiles qui satisfissent l’orgueil et l’avidité des Anglais.

Comme, des quatre événements possibles et prévus, ce premier est celui qui amènerait le danger le plus grand et le plus difficile à détourner, c’est aussi celui dont il faut tâcher de calculer le plus soigneusement la probabilité en lui-même et quant à l’époque : c’est celui qu’il faut surtout envisager dans le plan de précautions auquel il est question de se fixer. Cette discussion doit donc faire le principal objet de la troisième partie de ces réflexions ; elle doit terminer ce Mémoire.

La seconde supposition est que le roi d’Angleterre, en conquérant l’Amérique anglaise, s’en fasse un instrument pour subjuguer l’Angleterre européenne.

J’observe que la conquête de l’Amérique anglaise sera un bien grand ouvrage. C’en sera un, peut-être, encore plus difficile que l’asservissement de l’Angleterre par les forces de l’Amérique subjuguée. Je doute même que l’on pût y réussir, en flattant la haine et la jalousie nationales par une guerre dont la durée accoutumerait les Anglais au joug, et dont le succès le leur ferait supporter.

Certainement le ministère ne subjuguera pas les colonies sans des efforts violents et continus, qui ne peuvent manquer d’épuiser ses forces et ses ressources, de grossir la dette nationale, peut-être de