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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/569

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lieues une contrebande à laquelle les colonies ont autant d’intérêt que les étrangers ? Elles n’y réussiront point ; si elles y pouvaient réussir, ce ne serait que par des dépenses immenses qui surpasseraient tout le profit qu’elles croiraient tirer de leurs colonies, et dont tout le fruit serait d’aliéner l’esprit des colons et de les rendre ennemis de la métropole. La contrebande se fera bientôt à main armée ; et c’est alors que les Anglo-Américains, pour s’assurer la liberté du commerce, deviendront guerriers, non pas pour conquérir les colonies à sucre, s’ils conservent quelque sagesse, mais pour les aidera s’affranchir, s’allier avec elles et les incorporer à leur union. Les métropoles n’auront aucun moyen de s’y opposer : l’on peut en juger par la nécessité où l’on a été, même dans l’état actuel des choses, de consentir au commerce direct de nos colonies avec les colonies du continent de l’Amérique, et d’assigner pour ce commerce deux points d’entrepôts, l’un dans l’île Saint-Domingue, et l’autre auprès de la Martinique.

Point de milieu cependant : ou il faut se résoudre à faire la guerre pour se conserver le commerce exclusif des colonies à sucre, et quelle guerre ! et avec quelle improbabilité de succès ! Ou il faut consentir de bonne grâce à laisser à ses colonies une entière liberté de commerce, en les chargeant de tous les frais de leur défense et de leur administration ; à les regarder, non plus comme des provinces asservies, mais comme des états amis, protégés, si l’on veut, mais étrangers et séparés.

Voilà où toutes les nations européennes qui ont des colonies arriveront tôt ou tard, de gré ou de force. Voilà ce que l’indépendance des colonies anglaises précipitera inévitablement.

Alors l’illusion, qui depuis deux siècles berce nos politiques, sera dissipée. C’est alors qu’on appréciera la valeur exacte de ces colonies, appelées par excellence colonies de commerce, dont les nations européennes croyaient s’approprier toute la richesse, en se réservant de leur vendre et de leur acheter tout exclusivement. On verra combien la puissance fondée sur ce système de monopole était précaire et fragile, et peut-être s’apercevra-t-on, par le peu de changement réel qu’on éprouvera, qu’elle était aussi nulle et chimérique dans le temps même qu’on en était le plus ébloui. On calcule le produit de nos colonies à sucre par centaines de millions, et l’on a raison, si l’on compte la somme totale de leurs productions évaluées