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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/572

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L’avantage du commerce national ne peut donc consister, 1o que dans le prix du transport, depuis les îles jusqu’à nos ports, des marchandises d’Amérique que les étrangers viennent acheter de nous ; 2o dans l’épargne de ce que la nation eût payé aux armateurs étrangers pour le transport des marchandises de nos colonies qu’elle consomme, si les armateurs étrangers avaient pu faire librement ce commerce en concurrence avec nos négociants. Mais il ne faut pas croire que ces deux objets réunis soient en pur gain. Il faut en déduire tout ce qui en revient aux étrangers, et surtout aux Hollandais, pour le prix des assurances et pour l’intérêt des capitaux qu’une partie des armateurs français sont obligés d’emprunter d’eux ; car il est notoire qu’une partie du commerce de Bordeaux se fait sur des fonds appartenant à des négociants hollandais.

Il résulte de ce détail que le gain de la nation, dans le commerce exclusif des colonies, se réduit à une partie du profit que font les négociants de nos ports sur les frais de transport de marchandises des îles en France ; que ce gain de nos négociants est un objet très-modique, et qu’on se tromperait beaucoup en estimant les avantages de ce commerce par la valeur des productions, ou des exportations de nos îles.

Il reste un troisième calcul à faire, c’est celui des avantages que retire de la possession de ses colonies la France, considérée comme État politique. — Il reste à examiner et à évaluer les moyens de puissance qui peuvent en résulter pour elle.

Ces moyens de puissance sont de deux espèces : la force militaire et l’argent.

Lorsqu’une puissance ennemie a des possessions éloignées, où l’on peut avoir intérêt, soit de l’attaquer, soit de la menacer pour tenir en échec une partie de ses forces, il peut être avantageux d’avoir soi-même des possessions dans le voisinage des siennes, de pouvoir y tenir comme en réserve des forces, qui, sans être à charge à la métropole, se trouvent prêtes au besoin, et dispensent d’en faire passer d’Europe avec des frais immenses. Tel aurait dû être pour nous le fruit de la possession du Canada, et quoique notre gouvernement n’en ait pas tiré autant d’avantage qu’il l’aurait pu, lorsqu’il était en notre possession, il a seul occupé pendant la dernière guerre toutes les forces que la Grande-Bretagne et ses colonies ont, après sa prise, employées sans obstacle à prendre nos îles du Vent et la Havane.