Aller au contenu

Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colonie pourrait opposer à un ennemi aussi puissant. Il est à croire que, depuis ce temps, on a mis ordre au mauvais état des fortifications. On y a fait passer des troupes ; mais il est fort à craindre que ces troupes ne soient très-affaiblies, au moment de l’attaque, par l’intempérie du climat. On ne peut donc se dissimuler que, dans la supposition de l’invasion, le danger ne soit extrême, et peut-être inévitable. — Il n’en est que plus important de peser la probabilité de la supposition qui ferait naître ce danger, et de prévoir, s’il est possible, les époques où l’on peut craindre qu’il n’éclate. — À cet égard, je crois d’abord qu’on peut être à peu près rassuré pour cette année. On sait, depuis longtemps, qu’il y a une saison que l’Angleterre a le plus grand intérêt de choisir lorsqu’elle a des projets hostiles contre les deux couronnes. Cette saison inquiétante est l’intervalle du commencement d’avril à la fin d’octobre, temps où l’élite de nos matelots occupés à la pêche, et tous nos vaisseaux employés au commerce de l’Amérique, offrent une proie facile à l’Angleterre, et lui donnent un moyen assuré d’énerver nos forces maritimes, avant même que la guerre ne soit commencée ; nous en avons fait la funeste expérience en 1755. — À cette époque en succède une seconde, où l’élite des matelots de la Grande-Bretagne reste à son tour en proie aux marines réunies de France et d’Espagne ; c’est le temps où les pêcheurs anglais vont vendre leurs cargaisons dans les ports de Portugal, d’Espagne et d’Italie. Cette époque dure depuis le mois d’octobre jusqu’au mois de janvier ; et pendant ce temps, l’Angleterre ne peut se livrer à des projets de guerre, sans prendre, pour prévenir ce danger, des précautions qui décèleraient ses vues. On peut croire encore que si, dans l’intervalle du mois de janvier au mois d’avril, l’Angleterre se proposait de surprendre nos colonies, elle différerait assez l’exécution de son dessein, pour que nous n’en fussions avertis qu’après le départ de nos vaisseaux pêcheurs pour Terre-Neuve.

Cette marche régulière et annuelle fournit des moyens de prévoir d’avance les vues du ministère anglais, soit par le nombre et la force des bâtiments de guerre qu’il envoie au banc de Terre-Neuve, soit par la route que prennent les pêcheurs anglais après la pêche. Le ministre des affaires étrangères et celui de la marine ont fait sentir l’un et l’autre, l’année dernière, l’importance dont il était d’avoir des bâtiments légers, qui pussent donner des nouvelles fré-