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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/579

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anglais ose leur accorder la liberté de commerce qu’elles désirent ; comme il ne paraît pas possible que le ministère anglais fasse la folie d’entreprendre une guerre étrangère avant d’être pleinement assuré de la réunion de la métropole avec ses colonies ; je pense que, même dans ce cas, nous ne serions point attaqués pendant cette campagne, ni par conséquent avant le commencement de l’année prochaine.

Malgré ces probabilités, je pense, comme M. le comte de Vergennes, qu’il faut mettre tout au pis, et nous occuper de ce qu’on peut faire pour parer à la possibilité de l’invasion la plus prompte. — Mais avant d’entamer cette discussion, je ne crois pas inutile d’observer que le danger de la guerre peut ne pas venir de l’Angleterre seule, qu’il peut aussi venir de l’Espagne ; et que peut-être une trop grande confiance dans ses forces, une idée exagérée des embarras que cause à l’Angleterre sa querelle avec ses colonies, jointe au ressentiment que le roi d’Espagne conserve contre la nation anglaise, pourraient porter cette couronne à des démarches qui non-seulement fourniraient à l’Angleterre des prétextes, mais qui, peut-être, forceraient le ministère britannique à faire la guerre contre son inclination. M. le comte de Vergennes sait de quelle importance il est de connaître en tous temps les vues du ministère espagnol, de faire naître et de maintenir entre les deux cours une confiance sans réserve, et de s’en servir pour apprécier plus exactement les moyens de l’Espagne et les nôtres, et pour ralentir, s’il est nécessaire, une ardeur trop grande qui pourrait compromettre ces mêmes moyens en se hâtant trop de les employer. Les finances du roi épuisées, la marine à rétablir, une armée à reformer par une constitution nouvelle, sont des objets à présenter au roi d’Espagne, pour le refroidir sur le désir qu’on peut craindre de la part de ce prince de commencer des hostilités. Il est peut-être plus facile de s’assurer des vues et des moyens de l’Angleterre, que des intentions et des moyens de l’Espagne : il est cependant également intéressant d’être éclairé sur les dispositions de l’une et de l’autre de ces deux puissances. La nature des préparatifs à proposer à notre alliée peut devenir un moyen de sonder ses projets ; et dans le choix des nôtres, qui ne doivent tendre qu’au maintien de la paix, nous devons éviter ceux qui donneraient à cette puissance une trop grande facilité d’engager la guerre, et nous mettraient par là dans sa dépendance.