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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/600

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ennemi du christianisme par un fanatisme ridicule pour des erreurs consacrées à ses yeux par leur antiquité, et assez décriées en même temps pour laisser entrevoir à son orgueil dans leur rétablissement la gloire piquante de la nouveauté : Julien, en un mot, est forcé par la vérité de rendre ce témoignage à la vertu des chrétiens.

Elle aurait affaibli les sentiments de la nature, cette religion ? Eh quoi ! dans Athènes, dans Rome, une politique ignorante et cruelle autorisait les pères à exposer leurs enfants ; même dans ce vaste empire situé à l’extrémité de l’Asie, dans cet empire si vanté pour la prétendue sagesse de ses lois, la nature est outragée par cette horrible coutume ; ses plus tendres cris étouffés n’excitent pas la stupide indifférence des lois chinoises ; sa voix ne s’est point fait entendre au cœur d’un Solon, d’un Kuma, d’un Aristote, d’un Confucius ! religion sainte ! c’est vous qui avez aboli cette coutume affreuse, et si la honte et la misère sont encore quelquefois plus fortes que l’horreur que vous en avez inspirée, c’est vous qui avez ouvert ces asiles où tant de victimes infortunées reçoivent de vous la vie, et deviennent des citoyens utiles. C’est vous qui, par le zèle de tant d’hommes apostoliques que vous portez aux extrémités du monde, devenez la mère des enfants également abandonnés par leurs parents et par des lois qu’on nous vante comme le chef-d’œuvre de la raison.

O religion sainte ! on jouit de vos bienfaits, et l’on cherche à se cacher qu’on les tient de vous. Quel esprit de douceur, de générosité répandu dans l’univers, a rendu nos mœurs moins cruelles ? Si Théodose, dans la punition d’une ville coupable, écoute plus encore sa colère que sa justice, Ambroise lui refuse l’entrée de l’église. Louis VII expie par une pénitence rigoureuse le saccagement et l’incendie de Vitry. Ces exemples et tant d’autres, ont à la longue répandu la douceur du christianisme dans les esprits. Peu à peu ils sont devenus plus humains ; et comment même ont-ils eu besoin d’un temps si long ? comment cette humanité, cet amour des hommes que notre religion a consacré sous le nom de charité, n’avaient-ils pas même de noms chez les anciens ? La sensibilité aux malheurs d’autrui n’eût-elle donc pas gravé dans tous les cœurs ses impressions assez vivement pour faire reconnaître la sainteté de la morale chrétienne ? L’étaient-elles trop peu pour la rendre inutile ? C’est donc après quatre mille ans que Jésus-Christ est venu apprendre aux hommes à s’aimer. Il a fallu que sa doctrine, en ranimant ces principes de sensibilité que chaque homme retrouve dans son cœur, ait en quelque sorte dévoilé la nature à elle-même.

Ici, serait-il possible de ne point mêler les preuves du progrès de la vertu parmi les hommes avec celles de l’accroissement de leur bonheur ? Non, ces deux choses sont unies trop étroitement, et vainement les règles de l’éloquence prescriraient de séparer dans le discours ce qui est si près de se confondre dans la vérité ! Quel autre motif que celui de la religion a jamais engagé une foule de personnes à ne plus connaître d’autre intérêt que celui des pauvres ? Qui pourrait compter ces établissements utiles qu’a élevés parmi nous une heureuse émulation à chercher des malheureux et des besoins négligés, et une heureuse industrie à les découvrir ? Établissements dans lesquels, par le zèle partagé des fidèles, le corps entier de l’Église embrasse à la fois le soulagement de tous ceux qui souffrent. Ceux-ci se dévouent à l’instruction des enfants, ceux-là à celle des pauvres de la campagne. Des chrétiens gémissent dans les fers des barbares. Des hommes qui ne les con-