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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/623

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division des États, qui dépend en partie de ces deux principes, mais qui tient aussi en partie aux événements fortuits qui se sont succédé dans la suite des temps.

On peut ranger tout ce qui regarde la géographie politique sous deux divisions : la géographie politique théorique, et la géographie positive ou historique.

La première n’est guère que le rapport de l’art du gouvernement à la géographie physique ; comme la terre est le théâtre de toutes les actions humaines, cet objet renfermerait presque tout l’art de gouvernement, et pour ne l’y pas insérer tout entier, il faudrait souvent faire violence à la suite des idées. Mais si on y fait entrer tout, pourquoi déguiser un traité complet de gouvernement sous ce nom étranger de géographie politique ? Ne vaut-il pas mieux présenter la partie sous le nom du tout, que le tout sous le nom de la partie, quelque principale qu’elle puisse être ?

La géographie politique positive ne renferme que deux parties, le présent et le passé. L’état actuel du monde politique, les différentes forces des nations, leurs bornes, leur étendue, leurs qualités physiques, morales et politiques : c’est-à-dire, la quantité d’hommes, les richesses de chaque État, le caractère de ses habitants, la facilité ou les obstacles que met à leur agrandissement la nature de leur gouvernement, le commerce des différentes nations, leurs prétentions respectives, leurs intérêts faux ou vrais, le chemin qu’ils suivent à présent, et la direction de leurs mouvements vers un progrès plus grand encore ou vers leur décadence ; voilà la vraie géographie politique, à prendre le mot de géographie sous le sens dans lequel il est pris ordinairement, d’une description actuelle de la terre. Mais la géographie, par là même qu’elle est le tableau du présent, varie sans cesse ; et puisque tout ce qui est passé a été présent, l’histoire, qui est le récit du passé, doit être une suite de ces tableaux de l’histoire du monde pris dans chaque moment.

Si l’on comprend dans la géographie l’état des nations, comme paraît l’exiger le titre de géographie politique, il y a bien peu à ajouter à la géographie des différentes époques pour en faire l’histoire universelle, tout au plus les noms et les actions de quelques hommes. En un mot, l’histoire et la géographie placent les hommes dans leurs différentes distances ; l’une exprime les distances de l’espace, l’autre celles du temps. La description nue des terrains, d’un côté, la suite sèche et numérale des années, de l’autre, sont comme la toile où il faut placer les objets. La géographie ordinaire et la chronologie en déterminent les situations ; l’histoire et la géographie politique les peignent de leurs propres couleurs. La géographie politique est, si j’ose ainsi parler, la coupe de l’histoire. Il en est des différentes suites d’événements qui forment l’histoire de chaque pays par rapport à celle du monde, comme des libres qui forment le tissu d’un arbre depuis sa racine jusqu’à son sommet ; elles varient sans cesse entre elles, et chaque point de la hauteur, si on y fait une section transversale, présentera la figure qui lui est propre, en sorte que l’arbre entier n’est que la suite de ces tranches variées. Voilà l’histoire universelle. Chaque moment a son espèce de géographie politique, et ce nom convient spécialement à la description du moment présent où se termine nécessairement le cours des différentes suites d’événements. Je vois encore que, par rapport à cet objet, le nom de géographie politique serait un déguisement de l’histoire universelle. Ne vaut-il pas