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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/685

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efforts, l’attention à la fois la plus disséminée et la plus soutenue, l’application la plus constante de la part de l’homme de courage que son penchant y conduit, que sa position y dévoue. Trop d’objets se présentent à l’esprit ; trop d’établissements positifs se sont succédé par la suite des temps ; trop de corps se sont formés dans le corps même de l’État avec des intérêts et des privilèges différents ; trop de tribunaux et de juridictions dépendantes et indépendantes se sont établis. La machine du gouvernement s’est compliquée de trop de ressorts pour qu’un homme puisse aisément se flatter de les avoir tous combinés ; et il est encore plus impossible de les oublier. Ils font naître chaque jour une foule de questions à décider, qui se présentent aux yeux mêmes qui ne voudraient pas les voir. Il faut une sagacité prodigieuse, et une adresse non moins grande, pour qu’aucune de ces décisions particulières, qui toutes paraissent entraînées et maîtrisées par des circonstances spéciales, ne soit néanmoins en désaccord ni avec les principes fondamentaux, ni avec le plan général.

Cependant il est si vrai que les intérêts des nations et les succès d’un bon gouvernement se réduisent au respect religieux pour la liberté des personnes et du travail, à la conservation inviolable des droits de propriété, à la justice envers tous, d’où résulteront nécessairement la multiplication des subsistances, l’accroissement des richesses, l’augmentation des jouissances, des lumières et de tous les moyens de bonheur, que l’on peut espérer qu’un jour tout ce chaos prendra une forme distincte, que ses parties se coordonneront, que la science du gouvernement deviendra facile et cessera d’être au-dessus des forces des hommes doués d’un bons sens ordinaire. — C’est à ce terme qu’il faut arriver.

— Je n’admire pas Colomb pour avoir dit : « la terre est ronde, donc en « avançant à l’Occident, je rencontrerai la terre », quoique les choses les plus simples soient souvent les plus difficiles à trouver. — Mais ce qui caractérise une âme forte, est la confiance avec laquelle il s’abandonne à une mer inconnue sur la foi d’un raisonnement. Quel devait être le génie et l’enthousiasme de la vérité chez un homme à qui une vérité connue donnait tant de courage ! Dans beaucoup d’autres carrières le tour du monde est à faire encore. La vérité est de même sur la route ; la gloire et le bonheur d’être utile sont au bout.


LETTRES SUR LA TOLÉRANCE[1].

Première lettre, à M. l’abbé ……, grand-vicaire du diocèse de……

Vous me demandez à quoi je réduis la protection que l’État doit accorder à la religion dominante ?

Je vous réponds, qu’à parler exactement, aucune religion n’a droit d’exiger d’autre protection que la liberté ; encore perd-elle ses droits à cette liberté quand ses dogmes ou son culte sont contraires à l’intérêt de l’État.

Je sens bien que ce dernier principe peut quelquefois donner prétexte à

  1. La première de ces lettres a été adressée, en 1753, à un ecclésiastique dont on ignore le nom, mais qui avait été condisciple de M. Turgot en Sorbonne.

    L’auteur avait alors vingt-six ans. Il venait d’être nommé maître des requêtes. (Note de Dupont de Nemours.)