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LE CONCILIATEUR,
ou
LETTRES D’UN ECCLÉSIASTIQUE À UN MAGISTRAT,

sur le droit des citoyens à jouir de la tolérance civile pour leurs opinions religieuses ; sur celui du clergé de repousser, par toute la puissance ecclésiastique, les erreurs qu’il désapprouve ; et sur les devoirs du prince à l’un et à l’autre égard[1].
Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté du cœur. La force ne peut jamais persuader les hommes ; elle ne fait que des hypocrites. Quand les rois se mêlent de la religion, au lieu de la protéger, ils la mettent en servitude. Accordez donc à tous la tolérance civile, non en approuvant tout comme indifférent, mais en souffrant avec patience tout ce que Dieu souffre, et en tâchant de ramener les hommes par une douce persuasion.
(M. de Fénelon, archevêque de Cambrai.)

Lettre I. — 1er mai 1754.

Serait-il vrai, monsieur, comme je l’ai entendu dire en quittant Paris, que le roi songeât à renouveler les anciens règlements contre les protestants, et en même temps à donner gain de cause au parlement contre le clergé ? Il ne m’a pas paru possible que, par l’inconséquence la plus frappante, le Conseil proposât à la fois deux excès aussi opposés, et prît dans l’une et l’autre affaire le parti le moins juste et le moins raisonnable.

Quoi donc ! tandis qu’il serait permis aux évêques d’exclure les protestants du nombre des citoyens, il leur serait ordonné de distribuer les grâces du Ciel à ceux qu’ils en jugent indignes ! N’est-ce pas la même autorité qui doit dé-

  1. En 1754, après de longues querelles entre les parlements et les évêques au sujet des billets de confession et des refus de sacrements, il fut proposé au roi, comme un moyen de contenter les deux partis, d’accorder aux parlements le droit de forcer les évêques à faire communier les jansénistes, et de consoler le clergé en lui rendant celui de persécuter les protestants, en retirant à ces derniers la demi-tolérance de fait dont l’administration, devenue plus douce que la loi, commençait à les laisser jouir sur quelques points.

    Cette double injustice fut combattue par M. Turgot dans le petit ouvrage intitulé : le Conciliateur.

    Il n’en fit imprimer que fort peu d’exemplaires, pour les ministres, les conseillers d’État et quelques amis. Le roi lut cet écrit et fut persuadé ; il ordonna le silence, ne persécuta et ne laissa persécuter personne. Tout s’apaisa comme de soi-même.

    M. de Condorcet fit réimprimer cet ouvrage en 1788, et on en a fait une troisième édition en 1791, dont l’objet principal était de contribuer à calmer l’esprit d’intolérance entre le clergé qu’on nommait constitutionnel et celui qu’on appelait insoumis.

    M. de Condorcet avait dans son édition laissé subsister le titre trop vague sur les affaires présentes, qui pouvait convenir à la première édition et n’était pas entièrement déplacé lors de la troisième ; mais qui dans aucune des trois ne donnait une idée nette de ce dont il était question. — On a cru aujourd’hui devoir énoncer dans le titre les trois objets que l’auteur traite en théologien et en homme d’État.

    M. Turgot, alors âgé de vingt-sept ans, était déjà maître des requêtes. (Note de Dupont de Nemours.)