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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/741

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étymologies si bien vérifiées m’indiquent des rapports étonnants entre les langues polies des Grecs et des Humains, et les langues grossières des peuples du Nord. Je me prêterai donc, quoique avec réserve, aux étymologies d’ailleurs probables qu’on fondera sur ces mélanges anciens des nations et de leurs langages.

11o La connaissance générale des langues dont on peut tirer des secours pour éclaircir les origines d’une langue donnée, montre plutôt aux étymologistes l’espace où ils peuvent étendre leurs conjectures, qu’elle ne peut servir à les diriger ; il faut que ceux-ci tirent, de l’examen du mot même dont ils cherchent l’origine, des circonstances ou des analogies sur lesquelles ils puissent s’appuyer. Le sens est le premier guide qui se présente : la connaissance détaillée de la chose exprimée par le mot, et de ses circonstances principales, peut ouvrir des vues. Par exemple, si c’est un lieu, sa situation sur une montagne ou dans une vallée ; si c’est une rivière, sa rapidité, sa profondeur ; si c’est un instrument, son usage ou sa forme ; si c’est une couleur, le nom des objets les plus communs, les plus visibles auxquels elle appartient ; si c’est une qualité, une notion abstraite, un être en un mot qui ne tombe pas sous les sens, il faudra étudier la manière dont les hommes sont parvenus à s’en former l’idée, et quels sont les objets sensibles dont ils ont pu se servir pour faire naître la même idée dans l’esprit des autres hommes, par voie de comparaison ou autrement. La théorie philosophique de l’origine du langage et de ses progrès, des causes de l’imposition primitive des noms, est la lumière la plus sûre qu’on puisse consulter. Elle montre autant de sources aux étymologistes, qu’elle établit de résultats généraux, et qu’elle décrit de pas de l’esprit humain dans l’invention des langues. Si l’on voulait entrer ici dans les détails, chaque objet fournirait des indications particulières qui dépendent de la nature de celui de nos sens par lequel il a été connu, de la manière dont il a frappé les hommes, et de ses rapports avec les autres objets, soit réels, soit imaginaires. Il est donc inutile de s’appesantir sur une matière qu’on pourrait à peine effleurer ; l’article Origine des langues auquel nous renvoyons ne pourra même renfermer que les principes les plus généraux : les détails et l’application ne peuvent être le fruit que d’un examen attentif de chaque objet en particulier. L’exemple des étymologies déjà connues, et l’analogie qui en résulte, sont le secours le plus général dont on puisse s’aider dans cette sorte de conjectures, comme dans toutes les autres, et nous en avons déjà parlé. Ce sera encore une chose très-utile de se supposer à la place de ceux qui ont eu des noms à donner aux objets. Pourvu qu’on se mette bien à leur place, et qu’on oublie de bonne foi tout ce qu’ils ne devaient pas savoir, on connaîtra par soi-même, avec la difficulté, toutes les ressources et les adresses du besoin : pour la vaincre, on formera des conjectures vraisemblables sur les idées qu’ont voulu exprimer les premiers nomenclateurs, et l’on cherchera dans les langues anciennes les mots qui répondent à ces idées.

12o Je ne sais si, en matière de conjectures étymologiques, les analogies, fondées sur la signification des mots, sont préférables à celles qui ne sont tirées que du son. Le son paraît appartenir directement à la substance même du mot, mais la mérité est que l’un sans l’autre n’est rien, et qu’ainsi l’un et l’autre rapports doivent être perpétuellement combinés dans toutes nos recherches. Quoi qu’il en soit, non-seulement la ressemblance des sons, mais encore des rapports plus ou moins éloignés, servent à guider les éty-