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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/752

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lieu, que ceux des consonnes : les Grecs ont changé le son ancien de l’êta et de l’upsilon en i ; les Anglais donnent, suivant des règles constantes, à notre a l’ancien son de l’êta des Grecs ; les voyelles font, comme les consonnes, partie de la prononciation dans toutes les langues, et dans aucune langue la prononciation n’est arbitraire, parce que, en tous lieux, on parle pour être entendu. Les Italiens, sans égard aux divisions de l’alphabet hébreu, qui met l’iod au rang des lettres du palais, et l’l au rang des lettres de la langue, changent l’l précédé d’une consonne en i tréma ou mouillé faible, qui se prononce comme l’iod des Hébreux : platea, piazza, blanc, bianco. Les Portugais, dans les mêmes circonstances, changent constamment cet l en r, branco. Les Français ont changé ce mouillé faible, ou i consonne des Latins, en notre j consonne, et les Espagnols en une aspiration gutturale. Ne cherchons donc point à ramener à une loi fixe des variations multipliées à l’infini, dont les causes nous échappent : étudions-en seulement la succession comme on étudie les faits historiques. Leur variété connue, fixée à certaines langues, ramenée à certaines dates, suivant l’ordre des lieux et des temps, deviendra une suite de pièges tendus à des supposions trop vagues, et fondées sur la simple possibilité d’un changement quelconque. On comparera ces suppositions au lieu et au temps, et l’on n’écoutera point celui qui, pour justifier, dans une étymologie italienne, un changement de l’l des Latins précédé d’une consonne en r, alléguerait l’exemple des Portugais et l’affinité de ces deux sons. — La multitude des règles de critique qu’on peut former sur ce plan, et d’après les détails que fournira l’étude des grammaires, des dialectes et des révolutions de chaque langue, est le plus sûr moyen pour donner à l’art étymologique toute la solidité dont il est susceptible ; parce qu’en général, la meilleure méthode pour assurer les résultats de tout art conjectural, c’est d’éprouver toutes ses suppositions en les rapprochant sans cesse d’un ordre certain de faits très-nombreux et très-variés.

18o Tous les changements que souffre la prononciation ne viennent pas de l’euphonie. Lorsqu’un mot, pour être transmis de génération en génération, passe d’un homme à l’autre, il faut qu’il soit entendu avant d’être répété ; et, s’il est mal entendu, il sera mal répété : voilà deux organes et deux sources d’altération[1]. Je ne voudrais pas décider que la différence entre ces deux sortes d’altérations puisse être facilement aperçue : cela dépend de savoir à quel point la sensibilité de notre oreille est aidée par l’habitude où nous sommes de former certains sons, et de nous fixer à ceux que la disposition de nos organes rend plus faciles (voyez Oreille). Quoi qu’il en soit, j’insérerai ici une réflexion qui, dans le cas où cette différence pourrait être aperçue, servirait à distinguer un mot venu d’une langue ancienne ou étrangère d’avec un mot qui n’aurait subi que ces changements insensibles que

  1. Les enfants prononcent fort mal les premiers mots qu’ils entendent et qu’ils veulent exprimer ; et il est très-commun que les parents, par bonté, par tendresse, par gaieté, imitent en parlant à ces enfants, ou en rapportant à d’autres personnes ce que ces enfants ont dit, leur prononciation défectueuse, mais que l’amour maternel, et même souvent paternel, trouvent agréable. — Si l’habitation de la famille est isolée ou située dans un hameau, dans un village, qui ne contiennent que peu de familles, cette prononciation enfantine s’accrédite et devient usuelle ; la langue recule : c’est une des causes des patois et de leur variété dans les différentes provinces ou les différents cantons. (Note de Dupont de Nemours.)