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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/754

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a, même dans le genre étymologique, des choses évidentes à leur manière ; des dérivations si naturelles, qui portent un air de vérité si frappant, que peu de gens s’y refusent. À l’égard de celles qui n’ont pas ces caractères, ne vaut-il pas beaucoup mieux s’arrêter en deçà des bornes de la certitude, que d’aller au delà ? Le grand objet de l’art étymologique n’est pas de rendre raison de l’origine de tous les mots sans exception, et j’ose dire que ce serait un but assez frivole. Cet art est principalement recommandable en ce qu’il fournit à la philosophie des matériaux et des observations pour élever le grand édifice de la théorie générale des langues : or. pour cela, il importe bien plus d’employer des observations certaines, que d’en accumuler un grand nombre. J’ajoute qu’il serait aussi impossible qu’inutile de connaître l’étymologie de tous les mots : nous avons vu combien l’incertitude augmente dès qu’on est parvenu à la troisième ou quatrième étymologie, combien on est obligé d’entasser de suppositions, combien les possibilités deviennent vagues : que serait-ce, si l’on voulait remonter au delà, et combien, cependant, ne serions-nous pas loin encore de la première imposition des noms ? Qu’on réfléchisse à la multitude de hasards qui ont souvent présidé à cette imposition : combien de noms tirés de circonstances étrangères à la chose, qui n’ont duré qu’un instant, et dont il n’est resté aucun vestige ! En voici un exemple : un prince s’étonnait, en traversant les salles du palais, de la quantité de marchands qu’il voyait. « Ce qu’il y a de plus singulier, lui dit quelqu’un de sa suite, est qu’on ne peut rien demander à « ces gens-là, qu’ils ne vous le fournissent sur-le-champ, la chose n’eût-elle « jamais existé. » Le prince rit ; on le pria d’en faire l’essai. Il s’approcha d’une boutique, et dit : « Madame, vendez-vous des… des falbalas ? » La marchande, sans demander l’explication d’un mot qu’elle entendait pour la première fois, lui dit : « Oui, monseigneur » ; et lui montrant des pretintailles et des garnitures de robes de femme : « voilà ce que vous demandez ; c’est cela même qu’on appelle des falbalas. » — Ce mot fut répété et fit fortune. Combien de mots doivent leur origine à des circonstances aussi légères, et aussi propres à mettre en défaut toute la sagacité des étymologistes ! Concluons, de tout ce que nous avons dit, qu’il y a des étymologies certaines, qu’il y en a de probables, et qu’on peut toujours éviter l’erreur, pourvu qu’on se résolve à beaucoup ignorer.

Nous n’avons plus, pour finir cet article, qu’à y joindre quelques réflexions sur l’utilité des recherches étymologiques, pour les disculper du reproche de frivolité qu’on leur fait souvent.

Depuis qu’on connaît l’enchaînement général qui unit toutes les vérités ; depuis que la philosophie, ou plutôt la raison, par ses progrès, a fait dans les sciences ce qu’avaient fait autrefois les conquêtes des Romains parmi les nations ; qu’elle a réuni toutes les parties du monde littéraire, et renversé les barrières qui divisaient les gens de lettres en autant de petites républiques, étrangères les unes aux autres, que leurs études avaient d’objets différents, je ne saurais croire qu’aucune sorte de recherches ait grand besoin d’apologie : quoi qu’il en soit, le développement des principaux usages de l’étude étymologique ne peut être inutile ni déplacé à la suite de cet article.

L’application la plus immédiate de l’art étymologique est la recherche des origines dune langue en particulier. Le résultat de ce travail, poussé aussi loin qu’il peut l’être, sans tomber dans des conjectures trop arbitraires, est une partie essentielle de l’analyse d’une langue, c’est-à-dire de la connais-