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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/768

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celles qui sont propres au toucher, dont elle semble une espèce limitée à un organe particulier.

Quoique les sensations propres de l’ouïe et de l’odorat ne nous présentent pas à la fois (du moins d’une façon permanente) un certain nombre de points contigus qui puissent former des figures et nous donner une idée d’étendue, elles ont cependant leur place dans cet espace dont les sensations de la vue et du toucher nous déterminent les dimensions ; et nous leur assignons toujours une situation, soit que nous les rapportions à une distance éloignée de nos organes, ou à ces organes mêmes.

Il ne faut pas omettre un autre ordre de sensations plus pénétrantes, pour ainsi dire, qui, rapportées à l’intérieur de notre corps, et en occupant même quelquefois toute l’habitude, semblent remplir les trois dimensions de l’espace, et porter immédiatement avec elles l’idée de l’étendue solide. Je ferai de ces sensations une classe particulière sous le nom de tact intérieur, ou sixième sens. J’y rangerai les douleurs qu’on ressent quelquefois dans l’intérieur des chairs, dans la capacité des intestins et dans les os même ; les nausées, le malaise qui précède l’évanouissement, la faim, la soif, l’émotion qui accompagne toutes les passions ; les frissonnements, soit de douleur, soit de volupté ; enfin cette multitude de sensations confuses qui ne nous abandonnent jamais, qui circonscrivent en quelque sorte notre corps, qui nous le rendent toujours présent, et que par cette raison quelques métaphysiciens ont appelé : sens de la coexistence de notre-corps. (Voyez les articles Sens et Toucher.)

Dans cette espèce d’analyse de toutes nos idées purement sensibles, je n’ai point rejeté les expressions qui supposent des notions réfléchies, et des connaissances d’un ordre très-postérieur à la simple sensation ; il fallait bien m’en servir. L’homme réduit aux sensations n’a presque point de langage, et il n’a pu les désigner que par les premiers noms qu’il aura donnés aux organes qui les reçoivent ou aux objets qui les excitent ; ce qui suppose tout le système de nos jugements sur l’existence des objets extérieurs, déjà formé. Mais je suis sûr de n’avoir peint que la situation de l’homme réduit aux simples impressions des sens, et je crois avoir fait rémunération exacte de celles qu’il éprouve. Il en résulte que toutes les idées des objets que nous apercevons par les sens, se réduisent, en dernière analyse, à une foule de sensations de couleurs, de résistance, de sons, etc., rapportées à différentes distances les unes des autres, et répandues dans un espace indéterminé, comme autant de points dont l’assemblage et les combinaisons forment un tableau solide (si l’on peut employer ici ce mot dans la même acception que les géomètres), auquel tous nos sens à la fois fournissent des images variées et multipliées indéfiniment.

Je suis encore loin de la notion de l’existence, et je ne vois jusqu’ici qu’une impression passive, ou tout au plus le jugement naturel par lequel plusieurs métaphysiciens prétendent que nous transportons nos propres sensations hors de nous-mêmes, pour les répandre sur les différents points de l’espace que nous examinons, (Voyez Sensations, Vue et Toucher.) — Ce tableau, composé de toutes nos sensations, cet univers idéal n’est jamais le même deux instants de suite ; et la mémoire, qui conserve dans le second instant l’impression du premier, nous met à portée de comparer ces tableaux passagers, et d’en observer les différences. (Le développement de ce phénomène n’ap-