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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/118

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UNE VIE BIEN REMPLIE

bêtes faisaient la chasse aux bestioles et se nourissaient aussi de quelques feuilles de salade. Le jeune homme mit une de ces tortues dans sa poche pour faire une niche à la jeune fille de son patron, qui disait n’avoir jamais peur de rien ; justement, le soir même, des voisins étaient venus causer un peu et, naturellement on parla, les femmes surtout, des sorciers et du diable.

La jeune fille, qui savait lire et qui était intelligente, disait que c’était des bêtises, qu’il n’y avait ni sorciers ni diable et que seuls les ignorants pouvaient se faire peur avec ces choses.

Ne pensant pas à mal, mais seulement faire une bonne farce, le garçon de ferme, commandé d’aller tirer une cruche de cidre, mit sa tortue sous l’oreiller de la jeune fille en passant devant son lit pour aller à la feuillette. Peu après, elle partit se coucher, pendant que le fermier, resté seul avec son domestique, faisait une partie de cartes ; tout à coup, la jeune fille sortait en chemise de sa chambre, les cheveux en désordre, les yeux hagards, en poussant des cris effroyables : « Le diable ! le diable ! »

Le jeune homme comprenant qu’il venait d’être cause d’un malheur sans le vouloir, car il avait pensé que cette petite bête ne serait découverte que le matin, au moment du lever, heure où d’ordinaire il était là, alors que cette tortue ayant remué, la jeune fille ayant passé la main sous son oreiller, en avait reçu une telle commotion à la vue de cette bête inconnue qu’elle était devenue subitement folle ; elle ne voulait pas rester seule à la maison dans la journée, et la nuit elle couchait avec sa mère.

Le curé de l’endroit avait voulu s’emparer de cette affaire et faire venir de ses confrères à la ferme pour exorciser la jeune fille ; la mère voulait bien, mais le père s’y opposait, étant en cela d’accord avec le médecin, qui disait que c’était une peur qu’elle avait eue, qu’il fallait de la tranquillité et de la gaieté autour d’elle pour qu’elle guérisse et que si l’on pouvait savoir ce qui lui avait fait peur, il se chargeait de sa prompte guérison.

Le jeune homme, cause de tout le mal, avait emporté et enterré la bête dans le haut du jardin et, ne voulant pas