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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/15

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UNE VIE BIEN REMPLIE

et la Commission municipale ou le Conseil municipal ne marchait que sur leurs ordres.

Il faut avoir vécu à cette époque pour se représenter les paysans illettrés, faisant écrire par les plus savants du hameau une lettre aux autorités supérieures pour un fils soutien de famille ou pour solliciter une place dans une administration quelconque.

Cette lettre n’était mise à la poste qu’après avoir reçu l’apostille du châtelain de l’endroit ; et quand le paysan voyait cette lettre munie d’un beau paraphe, agrémenté d’une couronne de comte ou de baron, il était subjugué et disait : c’est vrai qu’ils sont bien durs pour les petits, mais on ne peut se passer d’eux, ils ont le bras long. C’était là un restant de vassalité du régime féodal. Aujourd’hui, grâce à l’instruction répandue partout, ces sentiments de servitude, d’applatissement devant les gens conséquents, a fait place à plus d’indépendance, à plus de dignité morale et par contre, les rancunes, les haines cachées qui existaient entre les paysans et les hobereaux se sont dissipées sous l’action d’une plus grande liberté de paroles et d’actions.

Certainement, le gros fait encore la loi aux petits ; les petits fermages surtout sont loués trop chers ; les petits métayers arrivent tout juste à vivre et encore, bien misérablement ; mais enfin, on discute de gré à gré. Pour les artisans et les ouvriers libres, c’est mieux encore, ils donnent leurs tarifs qu’il faut accepter. Les petits ont gagné en prestige ce que les gros ont perdu.

Une réflexion, cependant, que font les gens des campagnes : ils disent qu’après la guerre 1870-1871, ce fut une vraie révolution par toute la France de voir dans toute commune, les anciens maires, les riches châtelains plus ou moins titrés, remplacés par des maires républicains, et selon eux, le progrès aurait dû marcher plus vite ; quand il s’agit de faire rendre justice aux petits, ça n’en finit jamais.

Mon cher ami, répondit Savinien, je connais ces choses-là comme toi et je ne crois pas trop m’avancer en disant que nous les voyons du même œil. Les municipalités et les maires des communes, tout en étant pris dans le peuple même, ont pour la plupart évolué ; ils jouent aux petits châtelains ; au début, le maire choisi était un brave homme, ayant quelques biens et une instruction rudimentaire ; à