Aller au contenu

Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
UNE VIE BIEN REMPLIE

travail consistait, placé à une portière, de regarder s’il n’y avait pas de fils rompus, et cela, sur le parcours de Saint-Julien à Sens. Il me prit avec lui pendant un an ; ce fut pour moi une grande joie. Je devins l’un des premiers de l’école ; au cathéchisme, je devins aussi le plus zélé néophyte ; le curé me donnait en exemple aux autres enfants ; j’étais le coryphée pour chanter les cantiques en chœur.

Le vieux curé m’avait tellement prêché cathéchisme, me disant que j’étais destiné à faire un serviteur de Dieu, que j’irais chez les païens leur prêcher l’évangile, et que, si un jour j’étais lapidé, crucifié comme Notre Seigneur, j’irais droit au ciel ; je ne pensais et ne rêvais qu’à cela, désirant d’être crucifié pour aller au Paradis.

Mon père vit le curé, le pria de ménager un peu ma pauvre tête, disant qu’il me destinait à un métier manuel ; enfin, aux vacances, je retournai à la campagne avec ma mère et mes frères, prendre ma part aux travaux des champs.

J’eus un grand chagrin de quitter mon père, que j’aimais tant ; quel bon chocolat il me faisait le matin, je n’en n’avais jamais mangé à la campagne, où je ne vivais que de lait, de pommes de terre et de haricots, n’aimant aucun autre légume ; pour la viande, l’on n’en mangeait pas dix fois par an.

Deux ans après, on me mit en apprentissage à Courtenay, pour apprendre l’état de bourrelier-sellier ; à ce sujet, je vais te dire un mot des bourgeois du château que nous avons devant les yeux. Ce sont les plus riches du pays ; ils possèdent de grosses fermes ; de plus, un des membres de la famille occupe un poste important dans un ministère, important par les appointements, bien entendu, et non par le travail produit. Au moment de partir en apprentissage, ma mère me conseilla d’aller demander à arracher des betteraves ; je travaillai six jours à cette besogne et à une plus périlleuse, celle de monter sur les arbres pour secouer les fruits à cidre ; pour ces six jours, je reçus trois francs, sans nourriture s’entend ; ils ne se ruinaient pas en payant de pareils salaires.

Déjà mon année d’école à la ville avait indisposé mon frère aîné qui dirigeait le travail chez nous ; mon entrée en