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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/56

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UNE VIE BIEN REMPLIE

Le Syndicat, réuni au grand complet, me vota « la conduite ». Voici ce que c’est que de faire la conduite à un ouvrier : La Mère sert autant de litres et de bouteilles que l’on veut, et pendant deux ou trois heures l’on boit et l’on chante ; certains chanteurs avaient composé leurs chansons, qui certes ne méritaient pas l’approbation de l’Académie ; quant à l’harmonie, elle aurait fait sauver les sauvages anthropophages.

Le lendemain matin, je fus, selon la coutume, conduit, par deux camarades, hors de la ville, sur la route de Bayonne.

Dans cette première journée, je marchai jusqu’à la nuit noire et fis environ dix lieues. Quel triste pays que les Landes ; partout des marais, de maigres sapins ; faire des lieues pour ne rencontrer que quelques vachers ou bergers sur leurs hautes échasses, ou parfois un homme dans les sapins, occupé à faire une entaille à l’arbre d’où coulera la résine dans une sorte d’écuelle ; on se demande comment on arrive à vivre dans ce pays. Il faut posséder beaucoup de terrains pour être riche, et ceux qui ont de grandes propriété les font exploiter par d’autres, de sorte que, à part les grands propriétaires, qui tirent parti de la résine et des sapins qu’ils ont fait transformer en poteaux de mine, tout le monde est salarié et payé le moins cher possible naturellement.

Rien n’est plus triste pour un piéton que de ne pas rencontrer de maison. Sur un poteau indicateur on peut lire : X…, à tant de kilomètres ; quand vous y arrivez, vous voyez, au croisement de routes, une hutte de résiniers. Enfin, il y avait deux heures qu’il faisait nuit noire quand j’arrivai, complètement fourbu, dans un petit village. Sur les côtés de la route, l’herbe pousse à travers le sable ; la marche y est agréable dans les premières heures ; ensuite, c’est fatigant à l’impossible ; aussi, couché dans un bon lit de plumes, je ne me réveillai qu’au moment où les gens sortaient de la messe ; ce jour-là, je ne pus faire que quelques kilomètres, m’asseyant à chaque instant.

Je m’arrêtai à Dax pour voir la fontaine d’eau chaude et y prendre un bain.

Je fis séjour à Bayonne pour y travailler ; j’ai été frappé