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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/73

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UNE VIE BIEN REMPLIE

Après avoir rempli mes yeux de l’image du port, je voulus aller sur la mer, c’est le rêve de tous les enfants et j’avais encore des idées et des illusions d’enfants. Un marin rentrait avec deux hommes dans sa petite barque, appelée l’Hirondelle. Sitôt les deux passagers débarqués, il se mit à crier : « On embarque pour le château d’If. » Je demandai à monter dans son bateau ; mais j’étais seul et il prenait cinq francs pour quatre passagers ; je me suis mis avec lui à raccoler les gens. Enfin, après un bon quart d’heure passé à faire appel, personne ne se présenta et le jour baissait ; je montai seul dans son bateau moyennant trois francs. Ce fut pour moi la promenade du rêve ; sous l’action d’un léger vent, on filait comme une mouette sur les petites vagues bleues. J’allais donc pouvoir me rendre compte si les cachots de l’abbé Faria et de Edmond Dantès, décrits par Alexandre Dumas dans son roman du Comte de Monte-Christo, laissaient un peu de vraisemblance à son récit ; il n’y en avait aucune.

Cette petite île est un rocher, dont on ferait le tour en cinq minutes, en supposant qu’il y eut un chemin autour : quelques pièces de canon sur les remparts, un corps de garde vouté à l’entrée duquel un soldat fait les cent pas, fusil au bras ; maintenant, quatre cachots d’environ trois mètres de long sur deux mètres de large ; quatre autres cachots identiques au milieu de la voûte. Le gardien donne les noms de quelques hommes politiques qui y ont été enfermés ; entre autres Mirabeau et il ajoute spirituellement qu’un homme de génie et d’invention comme Alexandre Dumas a trouvé le moyen, avec sa plume, de faire communiquer entre eux des souterrains qui n’existaient pas.

En revenant, le voyage fut plus beau qu’en allant, mais moins agréable ; au moment du coucher du soleil, le vent s’était élevé, venant du port ; le marin dut faire le voyage en lacet, c’est-à-dire tirer des bordées ; cela m’amusait de recevoir un peu d’eau sur les épaules, mais ce qui était désagréable, c’est qu’il fallait toujours baisser la tête à cause de la voile qui changeait de direction à chaque instant. En mettant pied à terre, il me demanda si j’étais content et me dit que si on avait monté un bateau comme il y en a chez ses collègues, on aurait pu y rester ; mais, tout à mon bon-