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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/76

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UNE VIE BIEN REMPLIE

un jour de neige : un sol et des maisons noirs, beaucoup de masures enfumées ayant des carreaux en papier, les aspérités trouant une neige salie ; tel est le spectacle de cette ville, où l’on ne voit pas même un moineau. On se demande comment les rubans, qui s’y fabriquent par milliers de kilomètres, peuvent sortir aussi frais de ces fabriques.

Je m’arrêtai ensuite quelques heures seulement pour voir les villes de Mâcon et de Dijon.

Après avoir passé, dans un hôtel de Joigny, une nuit sans sommeil, parce que la chambre était une glacière, je partis à pied. Il faisait presque nuit quand j’arrivai à la ferme où mon frère cadet était domestique ; je fus invité par le fermier à souper avec eux et après je partageai le lit de mon frère dans l’écurie des chevaux, où je ne m’endormis que très avant dans la nuit, car je n’étais pas habitué d’entendre ces bêtes, qui mangeaient sans discontinuer.

XV


Le lendemain matin, j’embrassais mes parents ; mon pauvre père aurait été méconnaissable pour tout autre qu’un fils qui l’aimait. Alors que cinq ans auparavant, je l’avais vu si alerte, si souriant, je le retrouvais si triste dans ce hameau, par un jour de pluie, vêtu d’une blouse presque déteinte par les lavages, s’appuyant sur un bâton avec peu de sûreté, ses pauvres bras n’étaient plus valides ; ce fut pour moi un instant de grand chagrin. Nos embrassements furent à la fois des pleurs et des sanglots.

En embrassant ma mère, je ne me souvenais plus qu’elle m’avait laissé traiter en bandit par mon frère aîné. Je m’étais juré que je ne pardonnerais jamais à ma sœur ; juste à ce moment, elle venait chercher quelque chose chez mes parents ; elle habitait, depuis son mariage, la maison d’à