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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/82

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UNE VIE BIEN REMPLIE

quinze sous, parce qu’ils avaient des cachets de semaine puis tous allaient à la « claque ».

Une fois j’y suis allé, mais cela ne m’a pas satisfait, car il fallait applaudir quand le chef le commandait alors que j’aimais applaudir quand je voulais.

Ce même hiver, j’eus la chance de connaître un machiniste du théâtre Italien (maintenant, à cet endroit, est la Banque, place Ventadour) ; là, je montais au-dessus de la scène et j’entendais chanter ; j’y ai entendu la Patti, Nicolini et Monjausé ; c’était un vrai régal pour moi, quoique chanté en Italien, auquel je ne comprenais rien.

On croit, généralement, que les ouvriers sont plus heureux que les employés ; à mon avis, c’est une erreur ; l’employé, même mal payé, gagne de 120 à 150 francs par mois, c’est la misère, mais il faut tenir compte que l’ouvrier le plus stable ne fait par an que 290 ou 300 journées de travail de sorte que son salaire de 6 ou 6 fr. 50 donne à peine 150 francs par mois ; de plus, s’il perd seulement une heure, on ne lui paie pas, tandis que l’employé touche son mois entier ; on ne lui retient pas les quelques jours de maladie ni ceux passés au régiment comme réserviste ; puis il est souvent en contact avec ses patrons, qui le font monter en grade, s’il est capable, tandis que l’ouvrier a souvent à débattre son salaire.

Combien de fois étant aux pièces j’ai été envoyé par des camarades pour demander au patron de vouloir bien payer plus cher ; ma démarche réussissait souvent, mais quelquefois aussi on perdait son travail et ceux qui tenaient pour la justice, se voyaient fermer les portes, en même temps qu’ils se faisaient des ennemis de leurs propres camarades, car, chose à remarquer, ceux qui criaient les plus fort qu’il fallait tout casser, f….. le feu à la boîte, étaient ceux qui allaient prier les patrons de les accepter à son prix ; naturellement, on les traitait mal et ils vous en voulaient à mort. Ceux-là, aujourd’hui, on les appelle les jaunes.

M’étant entremis souvent comme délégué pour revendiquer les droits de tous, je n’étais plus libre de moi ; à chaque instant, j’étais invité, presque obligé de prendre parti.

Enfin, en 1869, je me mêlai sans le vouloir au mouvement économique et politique ; notre corporation avait constam-