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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/134

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verse, plus grand est le nombre des races qui y sont représentées, des langues qui s’y parlent, des dieux qui s’y trouvent adorés simultanément.

Chacune de ces trop grandes et trop vivantes cités, créations de l’inquiétude, de l’avidité, de la volonté combinées avec la figure locale du sol et la situation géographique, se conserve et s’accroît en attirant à soi ce qu’il y a de plus ambitieux, de plus remuant, de plus libre d’esprit, de plus raffiné dans les goûts, de plus vaniteux, de plus luxurieux et de plus lâche quant aux mœurs. On vient aux grands centres pour avancer, pour triompher, pour s’élever ; pour jouir, pour s’y consumer ; pour s’y fondre et s’y métamorphoser ; et en somme pour jouer, pour se trouver à la portée du plus grand nombre possible de chances et de proies, femmes, places, clartés, relations, facilités diverses ; pour attendre ou provoquer l’événement favorable dans un milieu dense et chargé d’occasions, de circonstances, et comme riche d’imprévu, qui engendre à l’imagination toutes les promesses de l’incertain. Chaque grande ville est une immense maison de jeux.

Mais dans chacune il est quelque jeu qui domine. L’une s’enorgueillit d’être le marché de tout le diamant de la terre ; l’autre tient le contrôle du coton. Telle porte le sceptre du café, ou des fourrures, ou des soies ; telle autre fixe le cours des frets, ou des fauves, ou des métaux. Toute une ville sent le cuir ; l’autre, la poudre parfumée.

Paris fait un peu de tout. Ce n’est point qu’il n’ait sa spécialité et sa propriété particulière ; mais elle est d’un ordre plus subtil, et la fonction qui lui appartient à lui seul est plus difficile à définir que celles des autres cités.