Aller au contenu

Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

HYPOTHÈSE[1]

Désormais, quand une bataille se livrera en quelque lieu du monde, rien ne sera plus simple que d’en faire entendre le canon à toute la terre. Les tonnerres de Verdun seraient reçus aux antipodes.

On pourra même apercevoir quelque chose des combats, et des hommes tomber à six mille milles de soi-même, trois centièmes de seconde après le coup.

Mais sans doute des moyens un peu plus puissants, un peu plus subtils permettront quelque jour d’agir à distance non plus seulement sur les sens des vivants, mais encore sur les éléments plus cachés de la personne psychique. Un inconnu, un opérateur éloigné, excitant les sources mêmes et les systèmes de vie mentale et affective, imposera aux esprits des illusions, des impulsions, des désirs, des égarements artificiels. Nous considérions jusqu’ici nos pensées et nos pouvoirs conscients comme émanés d’une origine simple et constante, et nous concevions, attaché jusqu’à la mort à chaque organisme, un certain indivisible, autonome, in-

  1. 1928.