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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/183

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de la hiérarchie des valeurs, — ni m’arrêter sur ce que supporte en fait de spectacles, de lectures, d’incohérence et d’absurdités un moderne cerveau… Mais je dois retenir ce fait que la vie pratique est de plus en plus pénétrée d’habitudes et de considérations que lui imposent les applications des méthodes positives (usage de machines, mesures, etc.) ; les esprits s’accoutument rapidement, quoiqu’insensiblement, à un mode d’existence qui suppose une certaine conception « scientifique » de l’univers physique.

Mais cette vie pratique, en tant qu’elle exige des rapports entre hommes (économiques, politiques, juridiques…) est entièrement commandée par des notions, des entités, des associations, de tout âge et de toute origine, dont la plupart seraient fort difficiles à justifier. On trouverait qu’elles impliquent plusieurs idées de l’Homme contradictoires entr’elles, et toutes fort différentes de l’idée de l’homme qu’une tentative actuelle, uniquement déduite de nos connaissances vérifiables, permettrait de se former.

Tout le monde consent tacitement que l’homme dont il est question dans les lois constitutionnelles ou civiles, celui qui est le suppôt des spéculations et des manœuvres de la politique, — le citoyen, l’électeur, l’éligible, le contribuable, le justiciable, — n’est peut-être pas tout à fait le même homme que les idées actuelles en matière de biologie ou de psychologie permettraient de définir. Il en résulte d’étranges contrastes, un curieux dédoublement de nos jugements. Nous considérons les mêmes individus comme capables ou incapables, responsables ou irresponsables selon la fiction que nous adoptons dans l’instant, selon que nous nous trouvons à l’état juridique ou à l’état objectif de notre faculté de penser…

Et cependant toute politique, même la plus simpliste, se réduit