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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/70

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Dans l’esprit, la mémoire, les habitudes, les automatismes de tout genre, représentent cette vie profonde et stationnaire ; mais la variété infinie des circonstances extérieures trouve en lui des ressources d’ordre supérieur. En particulier, l’esprit crée l’ordre et crée le désordre, car son affaire est de provoquer le changement. Par là, il développe, dans un domaine de plus en plus vaste, la loi fondamentale (ou du moins ce que je crois être la loi fondamentale) de la sensibilité, qui est d’introduire dans le système vivant un élément d’imminence, d’instabilité toujours prochaine.

Notre sensibilité a cet effet de rompre en nous à chaque instant cette sorte de sommeil qui s’accorderait à la monotonie profonde des fonctions de la vie. Nous devons être secoués, avertis, réveillés à chaque instant par quelques inégalités, par quelques événements du milieu, quelques modifications dans notre allure physiologique, et nous avons des organes, nous possédons tout un système spécialisé qui nous rappelle inopinément et très fréquemment au nouveau, qui nous presse de trouver l’adaptation qui convient à la circonstance, l’attitude, l’acte, le déplacement ou la déformation qui annuleront et accentueront les effets de la nouveauté. Ce système est celui de nos sens.

L’esprit emprunte donc à la sensibilité qui lui fournit ses étincelles initiales ce caractère d’instabilité nécessaire qui met en train sa puissance de transformation.

L’animal couché et paisible entend un bruit insolite, c’est l’événement. Il dresse l’oreille, puis le cou ; l’inquiétude le gagne ; la puissance de transformation s’étend à l’étendue de son corps, le dresse sur ses pattes ; son oreille l’oriente et il fuit. Il a suffi d’une faible rumeur. C’est de même qu’un esprit très attentif aux phéno-