Aller au contenu

Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

les oublie, et voici que la réflexion nous les oppose, les transforme en obstacles et en résistances. On dirait, en vérité, que les mots en mouvement et en combinaison sont tout autres choses que les mêmes mots inertes et isolés !

Cette propriété générale et si remarquable de nos instruments de pensée engendre presque toute vie philosophique, morale, littéraire et politique, c’est-à-dire une activité aussi vaine qu’on le voudra, mais aussi propice qu’on le voudra au développement de la finesse, de la profondeur et des actions propres de l’esprit. Nos enthousiasmes, nos antagonismes dépendent directement des vices de notre langage ; ses incertitudes favorisent les divergences, les distinctions, les objections, et tous ces tâtonnements de lutteurs intellectuels. Elles empêchent heureusement les esprits d’arriver jamais au repos… On peut se dire, en feuilletant l’histoire, qu’une dispute qui n’est pas sans issue est une dispute sans importance.

L’Intelligence est l’une de ces notions qui ne prennent leur valeur que des autres termes auxquels elles sont jointes dans quelque discours qui les compose ou les oppose. On l’oppose parfois à la sensibilité, parfois à la mémoire, parfois à l’instinct et parfois à la sottise. Tantôt c’est une faculté, et tantôt un degré de cette faculté ; quelquefois on la prend aussi pour le Tout de l’esprit lui-même, dont on lui donne l’ensemble vague de toutes les propriétés.

Depuis quelques années, ce mot, déjà embarrassé de plusieurs idées assez différentes, a contracté, par une contagion très fréquente dans les langues, une valeur nouvelle et tout étrangère.