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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/95

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nerveux démesurément grossi. Tout ce qui est relation, transmission, convention, correspondance, se voit en eux à l’échelle monstrueuse d’un homme par cellule. Ils sont doués d’une mémoire sans limites, quoique aussi fragile que la fibre du papier. Ils y puisent tous leurs réflexes dont la table est loi, règlements, statuts, précédents. Ces machines ne laissent point de mortel qu’elles ne l’absorbent dans leur structure et n’en fassent un sujet de leurs opérations, un élément quelconque de leurs cycles. La vie, la mort, les plaisirs, les travaux des hommes sont des détails, des moyens, des incidents de l’activité de ces êtres, dont l’empire n’est tempéré que par la guerre qu’ils se font entre eux.

Chacun de nous est une pièce de quelqu’un de ces systèmes, ou plutôt appartient toujours à plusieurs systèmes différents ; et il abandonne à chacun d’eux une part de la propriété de soi, comme il emprunte de chacun d’eux une part de sa définition sociale et de sa licence d’être. Nous sommes tous citoyens, soldats, contribuables, hommes de tel métier, tenants de tel parti, enfants de telle religion, membres de telle organisation, de tel club.

Faire partie… est une expression remarquable. Nous sommes en quelque sorte, par le refouillement et l’analyse de la masse humaine qui se font toujours plus précis et minutieux, devenus des entités bien définies. Comme telles, nous ne sommes plus que des objets de spéculation, de véritables choses. Ici, je suis conduit à prononcer des mots sans grâce, et contraint d’écrire avec horreur que l’irresponsabilité, l’interchangeabilité, l’interdépendance, l’uniformité des mœurs, des manières, et même des rêves, gagnent