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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/97

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à quelque lueur mouvante et misérable. Il réclame aujourd’hui 20, 50, 100 bougies. Quant à notre sens le plus central, — notre sens de l’intervalle entre le désir et la possession de son objet, qui n’est autre que le sens de la durée, — et qui se satisfaisait jadis de la vitesse des chevaux ou de la brise, il trouve que les rapides sont bien lents, que les messages électriques le font mourir de langueur.

Les événements eux-mêmes sont demandés comme une nourriture. S’il n’y a point ce matin quelque grand malheur dans le monde, nous nous sentons un certain vide. — « Il n’y a rien aujourd’hui dans les journaux, » disent-ils.

Nous voilà pris sur le fait. Nous sommes tous empoisonnés.

Il faudrait à présent rassembler toutes ces remarques, les rapporter à l’idée que nous avons de l’Intelligence-Faculté, et se demander si ce régime d’excitations intenses et rapprochées, de sévices déguisés, de rigueurs utilitaires, de surprises systématiques, de facilités et de jouissances trop organisées, ne doit pas amener une sorte de déformation permanente de l’esprit, lui faire perdre et acquérir des propriétés ; — et si, en particulier, les dons mêmes qui lui ont fait désirer ces progrès, comme pour s’employer et se développer ne seront pas affectés par l’abus, dégradés par leurs propres effets, épuisés par leur acte ?

Mais point de conclusions… Mieux vaut reprendre un peu et repenser sa pensée. J’ai déjà dit qu’il n’était pas question de