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Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/40

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— Une minute de silence ?… Gare !… Si l’on se taisait, ce qui parle à présent dans l’air, parlerait dans… l’homme… Dirait, peut-être, d’autres choses…

— Et vous n’y tenez pas ?

— Peut-être pas.

— Vous ne pouvez pas LE faire taire ?

— Non.

— Tenez-vous véritablement… à LE faire taire ?

— N… ON.

— Aïe, — Aïe, — Aïe ! Mauvais, mauvais…

— Omnivalence.

— Il fait rudement beau. Voyez moi cette grosse fumée là-bas qui s’est couchée sur l’horizon, et qui demeure en panne dans l’air absolument calme, comme un lange noirâtre. Et ce bateau. Il est là depuis ce matin. Il a mis sur lui tout ce qu’il avait.

— C’est une tartane. Ils doivent porter des briques, sans doute.

— Enfin, c’est un bateau !

— Non, ce n’est pas une tartane. Pardon. C’est une vieille goélette !… Un Italien je pense… Il y a peut-être soixante ans que cela navigue. Ils ont des voiles reprisées cent mille fois… Des formes charmantes. Et ça tient bien la mer.

— Et dire que Paris existe !…

— Et pourquoi pas ?

— Dire qu’il y a quelque part… mon téléphone !… Et le vacarme, et les voitures, et la pluie, et la hâte, et les gens, et les journaux !… Et tout le tonnerre de Dieu de tout ce qu’il y a à faire, et à penser…

— Que voulez-vous, docteur, on n’est pas des Grecs de la bonne époque…

— Ils avaient une chance, ceux là… Il me semble qu’ils avaient trouvé le moyen de faire sans rien faire, et de produire le plus beau travail du monde en fumant leur pipe sur le sable.

— Ils étaient assez subtils pour cela. Toutefois, ils ne fumaient pas, je crois.

— C’est juste. C’est une lacune… Je ne peux pas les concevoir sans pipe, tous ces philosophes.

— La pipe de Platon, — mais c’eût