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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/164

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qui montrait, à dix heures, une de ses chambres ouverte au frais, toute gaie et bien vivante.

Mais il était défendu de s’arrêter pour voir, parce que, paraît-il, cette maison était le nid d’un ménage immoral, où l’homme et la femme se couraient après pour s’embrasser. J’avais risqué un œil deux ou trois fois ; ma mère m’avait surpris et retiré brusquement en arrière comme si j’allais tomber dans un trou.

Une vieille dame qu’elle connaissait et qui demeurait en face avait été chargée de l’avertir.


« Si Jacques regarde, vous me le direz. »

Et cette femme, à l’heure du collège, m’espionnait, le nez aplati contre la vitre, la bouche méchante, l’air ignoble — bien plus ignoble que les deux amoureux qui s’embrassaient en face.

Elle y est encore, cette moucharde ! — elle a des mèches grises maintenant, qui passent sous son bonnet crasseux du matin ; elle me dévisage d’un regard vitreux, et il me semble qu’elle me vieillit en arrêtant sa prunelle ronde sur moi !


À travers la grille du collège j’aperçois la cour des classes…


C’est donc là que je suis venu, depuis ma troisième jusqu’à ma rhétorique, avec des livres sous le bras, des devoirs dans mon cahier ? Il fallait pousser une de ces portes, entrer et rester deux heures — deux heures le matin, deux heures le soir !