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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/290

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Quelle honte ! Je ne reparaîtrai pas devant ses yeux. Je ne reparaîtrai pas au cours non plus, je ne reverrai pas Joly, je fuirai le quartier où ELLE vit, je m’exilerai de ce coin de Paris.

J’ai envoyé un mot de démission.

Je suis resté huit jours et huit nuits à m’arracher les cheveux ; heureusement j’en ai beaucoup.


Aux heures où elle avait l’habitude de m’attendre, près du Gymnase, je vais malgré moi de ce côté ; je cours après toutes celles qui lui ressemblent — en me cachant quand je crois la reconnaître !

Mais je ne me laisse pas écraser par la douleur.

Je vais bûcher, bûcher, faire de l’argent, de l’or, louer ensuite un appartement avec un lit à rideaux puce, puis je lui écrirai. J’inventerai un roman ; j’en cherche l’intrigue, j’en ourdis le mensonge…


Les répétitions pleuvent, je donne la première à sept heures du matin au fils d’un ancien colonel ; la dernière à huit heures du soir, à un imbécile riche qui veut apprendre le style. Je le lui apprends. Crétin !

Tout va comme sur des roulettes d’argent. Même ma blessure se ferme.

Mon triomphe, pour avoir mal fini, ne m’en a pas moins enhardi ; et tout en rêvant de revoir la jeune mère aux cheveux d’or, je flirte auprès d’une miss anglaise, sœur d’un de mes élèves, qui n’a pas l’air, la jolie fille, de me trouver trop mal bâti.