Aller au contenu

Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais des lettres, vieilles de huit jours, m’annoncent que j’ai exaspéré deux leçons, mes deux meilleures, qui me lâchent. Il ne me reste que du fretin. Me voilà frais ! Je suis juste aussi avancé que quand j’ai débuté.

Tout est à recommencer après tant d’hésitations, d’efforts, de douleurs ! Eh ! pourquoi suis-je allé dans ce trou de province ? Est-ce qu’on a le temps de faire du sentiment et de la villégiature quand on est engagé pour vendre à heure fixe du latin et du grec, quand il y a pour cela des périodes sacrées ?

Je rêvais de revoir mon village comme la Vielleuse de mélodrame ou le Petit Savoyard ! Triple niais !

J’ai recouru après les leçons perdues, j’ai eu le courage d’être lâche et de demander pardon.

Mais les places étaient prises et l’on ne pouvait ou l’on ne voulait flanquer dehors ceux qui m’avaient remplacé.

Si j’attends seulement un mois avant de gagner quelque argent, je ne serai plus en état de me présenter nulle part. Il ne me reste qu’un vêtement propre, redingote, pantalon et gilet noirs, — à peu près noirs encore, quoiqu’ils montrent par endroits la corde.

J’ai de quoi manger et payer un garni ignoble avec mes vingt-six sous et trois centimes par jour, mais mes habits sont mes outils. Il m’en faut de propres et de décents.

Je connais Cicéron, Virgile, Homère, tous les grands auteurs anciens, mais je ne connais pas de petit tail-