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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/396

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existence de puritains ; nous ne sommes pas allés au café trois fois en six mois, mais nous n’avons pas non plus fait un pas, placé une ligne, pas gagné dix sous à nous deux ! Nous avons lu quelques livres loués dans un cabinet de lecture à trois francs par mois. On ne nous a pas demandé de dépôt, parce qu’on nous a vus depuis une éternité dans le quartier.

« Je vous connais bien de dessous l’Odéon, » a dit mademoiselle Boudin, qui tient le cabinet de la rue Casimir-Delavigne.

On peut nous connaître ! L’Odéon, c’est notre club et notre asile ! on a l’air d’hommes de lettres à bouquiner par là, et on est en même temps à l’abri de la pluie. Nous y venons quand nous sommes las du silence ou de l’odeur de notre taudis !

Je me suis bien promené dans ces couloirs de pierre la valeur de quatre années pleines ; j’ai certainement fait, si l’on compte les pas, en allant et en revenant, au moins trois fois le tour du monde. On peut additionner, du reste.

Tous les matins, après déjeuner, une promenade ; tous les soirs, après l’heure du dîner, une autre, terrible, interminable !

Nous étions à peu près les seuls qui tenions si longtemps ; nous, et quelques personnages singuliers dont le plus important avait un habit noir, un lorgnon, des souliers percés et pas de bas. On l’appelait Quérard, je crois ; il était légitimiste, sa femme était blanchisseuse.

Ce légitimiste avait un petit groupe de bas percés