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Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/59

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Nous tenions la caisse, cette semaine-là, Royanny et moi. Boire du muscat, c’était filouter, trahir !


Nous fûmes traîtres pour deux verres.

Si toutes les trahisons laissent si bon goût, il n’y a plus à avoir confiance en personne.


Voilà le seul extra, la seule folie, le seul luxe de ma vie de Paris, depuis que j’y suis.

Il y a aussi l’achat d’un géranium et d’un rosier, puis d’une motte de terre où étaient attachées des marguerites. Chaque fois que j’avais trois sous que je pouvais dérober à la colonie — sans voler (c’était assez du remords du muscat) — chaque fois, j’allais au Quai aux fleurs cueillir du souvenir. Pour mes trois sous j’emportais la plante ou la feuille qui avait le plus l’odeur du Puy ou de Farreyrolles ; j’emportais cela en cachette, entre mon cœur et ma main, comme si je devais être puni d’être vu ! tant j’avais envie — et besoin aussi — dans cette boue de Paris, de me réfugier quelquefois dans les coins heureux de ma première jeunesse !


Un malheur !


Mon petit cabinet de l’hôtel Riffault m’a été pris un mois après mon arrivée. Les propriétaires ont fait rafraîchir la maison, et l’on a renversé mon échelle, profané ma retraite ; on a fait un grenier de ce qui avait été mon paradis d’arrivant… J’ai dû partir, chercher ailleurs un asile.