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Page:Van Dooren - Anthologie des poètes français, 1921.djvu/718

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La Salle à manger.


Il y a une armoire à peine luisante
qui a entendu la voix de mes grand-tantes,
qui a entendu la voix de mon grand-père,
qui a entendu la voix de mon père.

A ces souvenirs l’armoire est fidèle,
On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle.

11 y a aussi un coucou en bois.
Je ne sais pourquoi il n’a plus de voix.
je ne veux pas le lui demander.
Peut-être bien qu’elle est cassée,
la voix qui était dans son ressort,
tout bonnement comme celle des morts.

il y a aussi un vieux buffet
qui sent la cire, la confiture,
la viande, le pain et les poires mûres.
C’est un serviteur fidèle qui sait
qu’il ne doit rien nous voler.

Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant

quand un visiteur me dit en entrant :
— Comment allez-vous, monsieur Jammes ? [1]


(De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir.)


Il y a un petit Cordonnier.


Il y a un petit cordonnier naît et bossu
qui travaille devant de douces vitres vertes.
Le Dimanche il se lève ; et se lave, et met sur
lui du linge propre et laisse la fenêtre ouverte.

Il est si peu instruit que, bien que marié,
il ne parle jamais, paraît-il, sur semaine.
Je me demande si le Dimanche, quand ils promènent,
il parle à sa femme vieille et toute courbée.

Pourquoi fabrique-t-il des souliers, marchant peu ?
Ah ! il fait son devoir et fait marcher les autres.
Aussi il y a une pureté dans le petit feu
Qui s’allume chez lui et luit comme de l’or.[ds

  1. Cf le pendule V. FABIÉ {Vers la Maison). Le Buffet, de A. RIMBAUD. La Table, L Horloge, de L. MERCIER {Le Poème de la Maison) ; Le Pays qui parle, d’YVES BERTHOU, etc.