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Page:Vandervelde - La Belgique et le Congo, le passé, le présent, l’avenir.djvu/22

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Au fond, ce que raconte M. Delcommune ne diffère pas essentiellement de ce qu’écrivait le rév. Bentley. Par contre, il semble bien que ce dernier ait été induit en erreur au sujet de certaine histoire, particulièrement dramatique, qu’il raconte dans son livre, que Stanley a reprise dans Cinq années au Congo et qui a été reproduite, depuis lors, dans nombre d’écrits de vulgarisation, et, notamment, Au Congo pour Christ, du pasteur Jules Rambaud.

Un certain John Scott, originaire de Sainte-Hélène, qui vivait à Boma en 1877, aurait commis l’abominable crime suivant :

« On lui envoya, un jour, quarante esclaves, attachés à une longue chaîne, accusés sans preuve d’avoir brûlé des bâtiments appartenant à un Portugais établi un peu plus haut. Celui-ci avait déjà fait justice expéditive en massacrant hommes, femmes et enfants — mais, fatigué de tuer, il envoyait les autres à son collègue. Celui-ci, en recevant la lettre, ordonna de se débarrasser des dernières victimes. La lourde chaîne fut jetée par-dessus bord, et les quarante esclaves noyés d’un coup.

Un jour ou deux après, arriva a Boma une canonnière anglaise, et, naturellement, les officiers se réjouirent fort de l’hospitalité princière de John Scott. Après s’être bien amusés et avoir bu de multiples coupes de champagne, les invités s’embarquèrent ; on donna l’ordre de lever l’ancre. Mais l’ancre ramena au jour… la chaîne à laquelle étaient enroulés les quarante cadavres. John Scott comprit sans difficulté de quoi il était question et se hâta de disparaître. Un mandat d’arrêt fut lancé contre lui, mais on ne le trouva pas. L’affaire fut classée ; les officiers anglais rentrèrent une année après en Europe ; ceux qui les remplacèrent n’étaient pas informés, et lorsque John Scott revint a Boma, nul ne l’inquiéta plus. Il reçut de nouveau, et fort bien, officiers et missionnaires. Toute l’affaire ne fut tirée au clair que plus tard, lorsque le criminel eut quitté le pays pour vivre en Espagne, ou il mourut en 1881[1].

Voilà l’histoire passée à l’état de légende.

Voyons maintenant l’histoire vraie. Elle contient beaucoup moins de détails à la Ponson du Terrail, mais elle nous

  1. Jules Rambaud. Au Congo pour Christ, p. 16. Liége. 1909.