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Page:Variétés Tome II.djvu/217

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Petit pour estre trompé en son horoscope, l’advise en un coing, qui se cachoit comme fait un mauvais payeur : Ah ! trompeur, imposteur, tu m’as abusé ! Tu ne m’avois pas adverty d’un si prompt depart… Je devois vivre cinquante-huit ans, et je suis mort à vingt-huit, si promptement que je n’ay peu dire adieu à ma maistresse. — Est-ce donc vous, Monsieur, repartit Petit. Ah ! mon Dieu, je ne le sçaurois croire : les astres sont trop reguliers, il n’y avoit pas un seul point qui vous fust fatal jusques au 58 de vostre aage. Estes-vous donc mort ? — Ouy, affronteur, s’ecrie une vefve ; et moy aussi… Tu m’avois promis trois hommes, et je n’en ay eu qu’un. — Je ne sçaurois souffrir cette impudence, Messieurs, dit Petit ; jugez si elle n’a pas eu davantage que je n’avois promis : elle n’en devoit avoir que trois ; elle a anticipé, et en a pris plus de trente. La vefve, offensée, se jette à ses yeux, et luy arrache le droit, dont il contemploit les astres. Il la renverse dans l’eau, mais tombe après. La populace se mutine ; on crie aux imposteurs. Mauregard s’escrime de l’aviron et se fait largue. Les ames tomboient dru et menu dans le courant du fleuve, si bien que le batteau, presque tout à fait deschargé, n’eust point esté en danger de perir s’il n’eust desjà pris eau de toutes parts, estant balancé par les continuelles secousses de ceux qui fuyoient et s’entrepoussoient.

Desjà l’eau victorieuse faisoit couler à fond cette vieille barque, qui n’avoit point encore ressenty un tel malheur depuis qu’elle a esté establie en ce passage. Le bon homme Charon invoquoit tous les dieux, comme fait un patron dans un extrême desespoir.