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Page:Variétés Tome VII.djvu/101

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de dessus ses espaules, et, le couchant auprès de la lanterne : « Quelque sot, dit-il, aimeroit mieux un manteau que sa vie. » Son amy, à dessein de l’eprouver, luy dit que, pour luy, il n’estoit pas resolu de laisser ainsi le sien à si bon marché. Sibus ne l’entendit pas seulement, car, dès qu’il avoit eu posé son manteau, il s’estoit mis à fuir de si bonne sorte qu’il estoit dejà bien loin. Je ne vous entretiendray point des lamentations qu’il fit sur sa mauvaise avanture lors qu’il fut chez luy, et que la seureté où il se vit luy permit de faire reflection sur la perte qu’il venoit de faire. Tous ceux qui estoient du complot ne manquèrent pas de le venir voir aussi-tost, disant qu’ils venoient d’apprendre le danger qu’il avoit couru ; mais toutes leurs consolations furent inutiles, et il n’y eust que la restitution qu’ils luy firent de son manteau capable d’appaiser son affliction. Faisant tant d’estat de ce bel accoustrement, je vous laisse à penser s’il estoit homme à le prophaner et pour mettre à tous les jours ce beau fruit d’une diette qui avoit plus duré que celle de Ratisbonne15. Que pouvoit-il donc faire ? Car d’avoir un autre manteau il n’en avoit pas le moyen, et il ne se pouvoit aussi resoudre à porter celuy-cy ordinairement. Il trouva un autre expedient, qui fut de ne bastir sa pane16 qu’à grands poincts à son manteau,


15. C’est à Ratisbonne que se tenoient alors les diètes de l’Empire, à cause de la commodité qu’avoient les princes allemands d’y faire venir de leurs États des vivres à peu de frais.

16. C’étoit une étoffe de soie à longs poils dont on doubloit les manteaux.