Aller au contenu

Page:Variétés Tome VII.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chant un grand nombre de flèches peut donner dans le but par cas fortuit. Il n’y a donc point d’aparence de rendre ces oracles si véritables, et un autre de mes amis a bien meilleure raison dans le dessein qu’il a de mettre veritablement un oracle dans un très beau roman qu’il compose, mais à dessein seulement de surprendre davantage le lecteur en faisant reussir sa catastrophe au rebours de ce qu’avoit predit l’oracle. »

Sylon proferoit cecy d’un fil si contenu qu’il sembloit s’estre preparé sur cette matière, et il avoit encore bien d’autres choses à debiter, lors que son amy, l’interrompant : « Cette façon de surprendre le lecteur, luy dit-il, me fait souvenir d’une autre dont je me suis servy dans une espèce de roman burlesque pour railler et suivre tout ensemble la loy de nos romanistes38 et contenter aussi le peuple, qui veulent que cette sorte de livres debute tousjours par quelque avanture surprenante. Je commence le mien ainsi : « Il estoit trois heures après midy lors qu’on vit ou que l’on put voir à Rouen, dans la rivière, un homme couronné de joncs et fait en quelque façon de la mesme sorte que les poëtes et les peintres nous representent leurs dieux marins s’elever et sortir du fond de l’eau. » Ne voilà-t’il pas un superbe spectacle, et qui tient fort l’esprit en suspens ? Aussi ne manquay-je pas de l’embrouiller de beaucoup d’intrigues, selon la coustume, avant que d’en decouvrir la cause ; puis, comme l’on meurt d’envie de la sçavoir, il se trouve enfin que ce Neptune qui


38. Huet, dans son traité de l’Origine des romans, a aussi employé ce mot, en même temps que celui de romancier.